Publié le 09.12.19 - Temps de lecture : 5 minutes

“Maison imprimée en 3D : le chantier du futur, c’est maintenant”

Benoit Furet, professeur à l’université de Nantes et co-fondateur de la startup BatiPrint 3D, a réalisé en septembre 2017 – avec son équipe de recherche – l’impression d’une maison individuelle de 95m² pour le compte de Nantes Métropole Habitat. Il revient avec nous sur cette première mondiale et les perspectives qu’elle ouvre aux acteurs de la construction.

Voici deux ans, vous réussissiez l’impression en quelques heures d’une maison d’habitation, pouvez-vous revenir sur la genèse de ce projet ?

C’est d’abord le fruit de travaux menés depuis près de 35 ans au sein de l’université de Nantes sur l’impression 3D, plus précisément sur une technique de fabrication dite additive. En 2015, je travaillais essentiellement avec des acteurs de l’industrie manufacturière : les chantiers de l’Atlantique, Naval group et en particulier le groupe Beneteau, et j’ai développé une technologie permettant l’impression d’objets de grande dimension à partir de matériaux à faible densité, sous forme de mousse. C’est le foam additive manufacturing. Concrètement, on met la matière là où on en a besoin.

J’ai alors commencé à m’intéresser au travail des différentes équipes qui dans le monde, cherchaient à transposer cette technologie de l’impression 3D au domaine du bâtiment. La plupart cherchaient à réaliser d’abord la partie structurante de la construction mais éprouvaient des difficultés à manipuler le béton. Nous avons alors eu l’idée de combiner la réalisation de la structure du bâtiment et celle de son isolation et avons dès lors pu développer un process où ces deux composants interagissent l’un avec l’autre : l’isolant permet de contenir le béton au moment où celui-ci est coulé, une fois pris il supporte à son tour la mousse destinée à isoler le bâtiment.

Une fois ce process établi, il a fallu développer la machinerie correspondante. Nous avons donc construit un robot roulant doté d’un bras articulé, installé sur la dalle il peut alors réaliser les élévations des murs. Ce robot nous l’avons pensé et construit en 2016 et 2017 pour une première réalisation en septembre 2017 : une maison de plain-pied de 95 m² comprenant 4 chambres, 2 salles d’eau et un séjour. La maison, c’est-à-dire le gros-œuvre, a été imprimée en 54 heures et terminée en 4 mois. Réalisée pour le compte de Nantes Métropole Habitat, elle est habitée par une famille de 5 personnes depuis maintenant près de 18 mois.

Crédits : Valéry Joncheray / Nantes Métropole Habitat

Outre son aspect spectaculaire, quels sont selon vous les principaux avantages de cette technique ?

L’avantage de l’impression 3D, c’est d’abord qu’elle offre de nouvelles possibilités formelles à l’architecte et en ce qui concerne le futur occupant, c’est la possibilité de customiser son logement dès la phase de réalisation du gros œuvre.

C’est un avantage à l’heure du chantier aussi : normalement le cahier des charges de Nantes Métropole Habitat imposait d’abattre deux arbres pour les besoins du chantier, nous avons fait le choix de ne pas les abattre et sommes venus nous insérer sur le site. Par extension, l’impression 3D c’est la possibilité de s’adapter aux caractéristiques du foncier, mais aussi de son environnement, notamment visuel.

C’est aussi une contribution déterminante à la transition écologique. À Nantes, nous avons ainsi pu optimiser le positionnement des portes, des fenêtres mais aussi l’inclinaison des murs. Nous avons aussi joué sur les formes et éliminé les angles pour optimiser la performance énergétique du bâtiment en éliminant les discontinuités de densité thermique. La maison a été réalisée avec l’objectif d’être RT 2012 moins 30 % et selon les normes actuelles elle serait classée E2C1. Au-delà, la technique de l’impression 3D permet aussi d’utiliser moins de matière et minimise la génération de déchet, ce qui réduit mécaniquement l’impact carbone.

Enfin, c’est une technique plus économique. Au-delà des économies de facture énergétique dans l’utilisation du bâtiment, la maison que nous avons livrée aurait coûté 20 % de plus si elle avait été réalisée selon des procédés traditionnels avec les mêmes formes courbes et les mêmes performances.

Cette technologie est-elle aujourd’hui mature et prête pour une massification ?

La start-up BatiPrint est en train de sortir de terre, avec un investisseur qui a pris les droits d’exploitation des différentes licences et brevets de l’université de Nantes. Nous, les inventeurs, y contribuons naturellement et sur les 180 000 maisons individuelles livrées en France chaque année, nous espérons bien en construire une partie. Mais attention, nous proposons un produit particulier qu’on ne peut pas comparer à une simple maison individuelle standard.

Quelle a été pour vous la principale difficulté à relever dans ce challenge ?

Sans hésitation la résistance au changement des acteurs de la construction. Pour ce qui me concerne, je suis issu de l’industrie manufacturière. Mes projets je les menais pour des acteurs comme Airbus ou le groupe Daher, chez qui l’approche du travail n’est pas du tout la même, beaucoup plus collaborative et pour tout dire responsable. Le domaine du bâtiment, où chacun s’attache à défendre son pré carré au détriment du chantier lui-même, gagnerait grandement à s’en inspirer. Lorsque je compare les contacts que j’ai avec les professionnels du bâtiment et ceux que peuvent avoir certains de mes collègues avec des géants du numérique, je ne peux que remarquer la frilosité et la résistance au changement des grands noms du bâtiment

Crédits : Valéry Joncheray / Nantes Métropole Habitat

À l’aune de vos travaux et de cette avancée, quel est selon vous l’avenir des procédés constructifs ?

La révolution est pour demain. D’abord, il y a la question de l’impact environnemental qui va devenir prépondérante. Nous avons beaucoup travaillé pour maximiser le recours à des matériaux ayant un faible impact carbone : des mousses réalisées à partir de matériaux recyclés ou encore des ciments bas-carbone. Nous privilégions aussi l’éco-dimensionnement, c’est-à-dire un dimensionnement à la fois économique et écologique.

Vient ensuite l’apport du numérique. On oublie souvent lorsqu’on évoque la modélisation du bâtiment (BIM), que son équivalent est appliqué dans l’industrie manufacturière depuis les années 80. Idem pour ce qui concerne le recours aux robots, la production industrielle l’a compris depuis longtemps ; il est fondamental de réduire la pénibilité au travail et les travaux générateurs de troubles musculosquelettiques. Les robots ne sont pas réservés à la production de masse, il y a même des développements autour de la cobotique[1] pour des « robots collaboratifs avec l’homme », le savoir-faire est chez l’opérateur, c’est lui qui pilote et contrôle le travail du cobot pour les tâches pénibles afin qu’il puisse se consacrer à celles plus difficiles ou à fortes valeur ajoutée. Les professionnels de la construction se posent des questions qui sont pour nous tranchées depuis bien longtemps. A Saint-Nazaire, dont je suis originaire, on fabrique des paquebots, des bâtiments dans lesquels peuvent loger 6500 personnes, qui flottent, se déplacent et sont autonomes en énergie. Et cela, ils le font en 3 ans, de la feuille de dessin à la mise en service effective.

Pour le domaine du bâtiment, je suis, par moment, super impressionné par de magnifiques réalisations et, à d’autres, je me dis que l’on est à des années lumières de l’industrie mécanique, et pourtant la technologie est là. À mon sens, les grands noms du bâtiment ont tout intérêt à s’en saisir, à sortir dès maintenant de leur zone de confort pour faire cette révolution, sans quoi ce sont de nouveaux acteurs, comme certains du numérique peut-être, plus à même de négocier ce saut technologique, qui le feront à leur place.

Crédits : Valéry Joncheray / Nantes Métropole Habitat

C’est que ce que propose votre startup, BATIPRINT3D ?

C’est en effet ce que propose la startup BATIPRINT3D pour concevoir et réaliser des habitations parfaitement adaptées aux futurs habitants. Pour une cuisine, avec un simple plan, vous allez chez un cuisiniste et une heure ou deux après vous avez votre cuisine en 3D. Nous avons donc développé un outil numérique pour l’aide à la conception, en nous appuyant sur un standard du domaine, dans lequel nous intégrons le foncier retenu et les constructions environnantes… Puis, avec les futurs habitants, nous co-concevons la maison en partant des besoins, des envies, des contraintes… En temps réel les futurs occupants peuvent visualiser le modèle 3D, en extérieur ou depuis l’intérieur. Il est facile d’analyser l’influence de l’inclinaison ou l’orientation d’un mur de quelques degrés ou la position de telle menuiserie sur la vision extérieure, la luminosité intérieure, la forme de telle courbe, les vues sur les voisins ou l’environnement… En temps réel, il est possible de faire varier la saison, la météo, la végétation… et le tout dans un casque de réalité virtuelle si on le souhaite. À partir du fichier numérique créé, il sera possible de réaliser des chiffrages économiques, des calculs de performance, des déterminations d’impacts environnementaux ou de nouveaux critères définissant le confort et le bien-être et, bien sûr, de générer les trajectoires des robots et autres machines de construction.

L’acte de construction n’est plus une simple acquisition d’une bâtisse où seul le nombre de m2 compte… les citoyens veulent s’impliquer pour construire un habitat plus adapté, optimisé, inspiré, durable… Le chantier du futur, c’est maintenant.

 

[1] Le domaine de la collaboration homme-robot.

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