Publié le 28.04.20 - Temps de lecture : 4 minutes

Le confinement va t-il profondément changer l’urbanisme ?

Le jour d’après est une série d’interviews et de tribunes qui portent un regard sur les enseignements que nous pourrons tirer, demain, de la crise sanitaire que nous vivons actuellement. Quels nouveaux besoins, quels nouveaux usages et relations sociales s’organisent dans ce contexte sans précédent ? Comment les initiatives positives créées par cette situation inédite peuvent-elle constituer des enseignements durables pour plus d’urbanité et une meilleure qualité de vie en ville ? Urbanistes, sociologues, géographes, architectes, mais aussi start-upper nous éclairent de leurs regards multiples sur l’urbanité bousculée que nous vivons aujourd’hui, pour inspirer durablement celle de demain.

Experts, observateurs, usagers de la ville, si vous souhaitez participer à la série #Lejourdaprès, écrivez-nous sur contact@enviesdeville.fr.

Jérôme Baratier est urbaniste, directeur de l’agence d’urbanisme de l’agglomération de Tours et professeur affilié à l’école urbaine de Sciences Po. 

Apprentissage massif du télétravail, redécouverte des vertus du local dans nos modes de consommation et volonté affichée de relocaliser certaines productions ou activités, notre expérience du confinement peut-elle selon vous rebattre les cartes entre ville dense, périurbain et ruralité ?

Il est sans doute trop tôt pour le dire, et méfions-nous des cartes sans cesse rebattues, mais si on considère que toute crise a tendance à amplifier les tendances préexistantes, alors en effet, les aspirations à une moindre densité urbaine peuvent se trouver confortées par la pandémie. Le processus de périurbanisation n’est pas nouveau, rappelons qu’il est consubstantiel de la métropolisation. Juste avant la crise sanitaire, 74% des Français trouvaient leur commune trop dense[i] . Cette aspiration à un plus faible densité, cette envie d’un rapport plus étroit avec une forme de nature, ce gout pour une sociabilité plus « villageoise », apparaissent comme autant d’ingrédients de « la revanche des villages » telle que décrite par Eric Charmes[ii]. 

Ne faisons toutefois pas des espaces périurbains ou ruraux une nouvelle panacée. S’ils ont été trop longtemps snobés par les urbanistes ou les aménageurs, ils présentent de nombreuses carences : absence de diversité des formes urbaines, faible mixité fonctionnelle, autosolisme généralisé pour n’en citer que quelques unes. Profitons de ce retour en grâce pour replacer ces espaces au cœur des politiques publiques ainsi les réinventer à l’aune des défis climatiques. Attention également à ne pas céder au discours anti-urbain qui monte. Rappelons que sans la concentration d’équipements et de services offerts par les villes denses, les espaces périurbains ne pourraient prospérer. Ne cédons pas à la tentation des fractures et des scissions, c’est le continuum d’urbanité qu’il nous faut prendre en compte et composer. 

Alors que nombre de Français (12 % des Franciliens selon l’IFOP) ont changé de domicile pour le confinement – passant le plus souvent d’un appartement à une maison individuelle – cette expérience pourrait-elle renforcer leur attachement à ce type d’habitat, pourtant très consommateur d’espaces naturels ? À l’heure de la lutte contre le dérèglement climatique, quel regard l’urbaniste porte-t-il sur ce nouveau défi qui attend dès demain la ville dense ?

Rappelons que seuls 6% des français ont changés de résidence[iii]  avec le confinement et que parmi ceux-ci une part importante est constituée d’étudiants. Sur les conditions de logement on sait que près des deux tiers des français vivent cette période inédite dans une maison individuelle[iv] et que 12% sont dans un appartement sans balcon ni terrasse. Comment concilier limitation de la consommation de l’espace (voir l’objectif de zéro artificialisation nette dont la définition est ardemment discutée) et forme urbaine répondant à cette aspiration qui, je le répète, n’est que renforcée par la pandémie ? Probablement en revisitant de fond en comble certains dogmes qui guident la production urbaine depuis de nombreuses années. Arrêter de considérer l’espace non bâti comme un espace sans enjeu en attachant un soin extrême à sa valeur d’usage y compris dans les opérations immobilières. Déminéraliser et rendre plus accessible les espaces publics autant que possible afin qu’ils offrent une compensation réelle à la densité. Ce ne sont que quelques pistes, je pense que toutes les parties prenantes doivent participer à cet aggiornamento.  

À l’échelle du logement cette fois, de lieu de vie « résiduelle », celui-ci est devenu lieu de vie « tout court », c’est-à-dire à la fois de travail, d’apprentissage, de loisirs et de sociabilité (virtuelle), pensez-vous que cette expérience aura des conséquences pérennes sur notre manière de penser, de construire et de vivre le logement ?

Là encore le confinement aura forcé le trait d’une tendance existante. En effet, l’essor de l’auto-entreprenariat, du télétravail et des « free lance » nous interpellait déjà. D’ailleurs le co-working a été une réponse spatiale mutualisée à ce phénomène. Reste qu’à quelques produits nouveaux près, la production neuve de logements reste largement standardisée. Cette standardisation est en grande partie conditionnée par les rendements locatifs commandés par les produits de défiscalisation. La question de produire un logement plus évolutif et « sur-mesure » est encore devant nous. Par ailleurs, la profession serait inspirée de se pencher sur les espaces périurbains qui souffrent d’une carence d’opérateurs ensembliers. La question de la remobilisation d’un parc ancien qui peine à retrouver son attractivité devrait également davantage nous mobiliser.

La redécouverte du local intervient dans un contexte où, à travers notamment le programme « Action Cœur de Ville », les pouvoirs publics s’attellent à rendre leur attractivité à des centres-villes jusque-là en déclin, comment les collectivités peuvent-elles selon vous tirer parti de cette expérience pour réinventer ces espaces stratégiques ?

Précisons d’abord que tous les centres-villes ne sont pas en déclin et que leur état de santé est directement corrélé à la dilution de nombreuses fonctions essentielles à leur vitalité. Cette crise nous fait prendre consciences qu’il y a besoin de favoriser et coordonner la myriade d’initiatives horizontales qui germent durant la pandémie. Peut-être cela nous indique-t-il une dimension de politiques publiques à investir davantage. En effet, en parallèle des investissements dans les espaces publics, les équipements, et l’aide à l’amélioration des conditions matérielles de vie, il y existe un besoin de relier, capitaliser, diffuser un capital de connaissances, des savoir-faire, des solidarités qui participent de la résilience du territoire. Je suis frappé de constater à quel point, avec cette crise, la question de la production alimentaire locale est devenue centrale et a mobilisé à juste titre, beaucoup d’énergie. Peut-être que la centralité, c’est à la fois là où on est ensemble  mais aussi là où on fait ensemble. Gageons que ce nouvel « art de faire » saura imprégner nos actions et que la coopération prendra le pas sur la compétition.

 

[i] L’observatoire des usages et des représentation des territoires – Obsoco / chronos – février 2020
[ii] Eric Charmes ;  La revanche des villages ; La république des idées ; Le seuil ; 112 pages ; janvier 2019
[iii] Étude Ifop pour Consolab réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 21 au 23 mars 2020 auprès d’un échantillon de 3 011 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus résidant en France métropolitaine  https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2020/04/Infographie_Ifop_Consolab.pdf
[iv] Étude Ifop pour Consolab réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 21 au 23 mars 2020 auprès d’un échantillon de 3 011 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus résidant en France métropolitaine  https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2020/04/Infographie_Ifop_Consolab.pdf

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