
Collectivités et intelligence artificielle : mode d’emploi

L’intelligence artificielle fait une entrée discrète mais réelle dans les communes. Souvent utilisée sans cadre ni méthode, elle intrigue autant qu’elle inquiète. Un rapport du Sénat, publié en mars dernier, propose un guide pratique pour aider les élus à y voir plus clair. Le sénateur Pascale Gruny, co-rapporteure du texte, revient pour nous sur les enjeux de cette transition.
À RETENIR
- L’intelligence artificielle est déjà utilisée dans certaines collectivités (rédaction de délibérations, gestion des cantines, détection de fuites), mais souvent de manière isolée, sans cadre ni stratégie globale.
- Le rapport sénatorial du 13 mars 2025, coécrit par Pascale Gruny et Ghislaine Senée, propose une méthode pratique en 11 recommandations pour encadrer et structurer l’usage de l’IA dans les services publics locaux.
- Le texte insiste sur la nécessité d’impliquer les citoyens, de former les agents, de nommer des référents IA, de rédiger une charte éthique et de prendre en compte l’impact environnemental des technologies utilisées.
- Pour éviter les inégalités entre territoires, il préconise une ingénierie mutualisée, des collectivités pilotes et la création de comités territoriaux de la donnée, en vue de bâtir une culture partagée de l’IA à l’échelle locale.
C’est une image qui résume bien l’état d’esprit de nombreux élus face à l’intelligence artificielle. Lors d’un débat au Sénat dans le courant de l’année 2017, le sénateur Pascale Gruny se souvient avoir découvert le sujet pour la première fois. « Je n’y connaissais rien du tout », confie-t-elle. « Les questions des collègues touchaient à des univers très différents, et moi, ça m’a donné le vertige. » Ce « vertige », elle le retrouve aujourd’hui chez bon nombre de maires et d’agents territoriaux. L’IA intrigue, mais effraie également. Elle fait gagner du temps, automatise certaines tâches, ouvre de nouvelles possibilités, mais elle reste difficile à cerner. « C’est un outil innovant, mais ça fait peur à tout le monde », résume le sénateur de l’Aisne (Hauts-de-France). Et pour cause : les usages se multiplient, souvent sans cadre, sans stratégie, parfois même sans que les élus sachent précisément ce qui est utilisé. Dans certaines communes, les agents s’aident déjà de l’IA pour rédiger des délibérations. Ailleurs, elle sert à optimiser la gestion des cantines ou encore à détecter des fuites sur les réseaux d’eau. Mais ces initiatives, souvent portées par des prestataires privés, restent isolées.
Un guide pratique et des leviers pour structurer l’action
Face à cette situation, le Sénat a publié, le 13 mars 2025, un rapport d’information sur les premières applications de l’IA dans les collectivités territoriales. Co-écrit par Pascale Gruny, et Ghislaine Senée, sénatrice des Yvelines (Ile-de-France), il propose une méthode simple pour structurer les usages de l’intelligence artificielle dans les services publics locaux. « Nous ne voulions pas faire un rapport technique ou théorique, mais quelque chose d’utile. Une boîte à outils pour aider les collectivités à réfléchir et à avancer sans se lancer dans le vide », explique Pascale Gruny. Le texte formule onze recommandations. Parmi les priorités : associer les citoyens dès le départ, comme l’a fait Montpellier en organisant des réunions publiques sur le sujet. « Il faut que les habitants comprennent ce qu’une collectivité peut faire avec l’IA et avec leurs données », insiste le sénateur.
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Le rapport préconise également de former les agents, de sensibiliser les élus, de désigner un référent IA dans les grandes collectivités et de rédiger une charte éthique. Il alerte aussi sur l’impact environnemental des outils utilisés. « Si on ne met pas ça dans le cahier des charges, on peut se retrouver avec des calculateurs qui consomment trois fois plus d’énergie qu’un autre », prévient-elle. Autre point clé : la mise en place d’une ingénierie IA à l’échelle territoriale, pour que les communes puissent progresser ensemble, sans creuser les inégalités. Car sur ce sujet, les collectivités ne sont pas sur un pied d’égalité. Les grandes villes sont souvent plus avancées, les villes moyennes démarrent leurs projets, mais les plus petites peinent à suivre. « Le risque de décrochage est réel » alerte Pascale Gruny. Pour y répondre, le rapport recommande d’organiser l’ingénierie autour de collectivités cheffes de file, capables de partager leur expertise avec les autres. Il propose également de créer des comités territoriaux de la donnée, pour encourager l’échange d’expériences et le partage de données à des fins d’intérêt général. Objectif : faire émerger une culture commune de l’IA au sein des territoires, à partir du terrain. Ce rapport d’information n’a pas de valeur législative immédiate, mais il pourrait nourrir de futurs amendements ou propositions de loi.