
Les nouveaux ingrédients de l’attractivité territoriale
Lise Bourdeau Lepage, professeur de géographie à l’université Jean Moulin-Lyon 3
Pendant longtemps, attirer entreprises et habitants relevait d’une recette bien rodée : infrastructures, emploi, fiscalité. Mais selon la dernière étude du CNER, cette formule ne suffit plus.
À RETENIR
- L’attractivité territoriale ne repose plus uniquement sur des critères productivistes, mais sur des facteurs qualitatifs tels que le cadre de vie, les services de proximité, la sécurité et le lien social.
- Cette évolution reflète un changement profond des attentes des individus, qui privilégient désormais l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle, la nature et la tranquillité, plutôt que le seul gain financier.
- Les territoires historiquement moins attractifs, notamment les villes moyennes, les zones rurales et périurbaines, bénéficient de ce basculement en répondant mieux à ces nouvelles aspirations.
- Les agences d’attractivité adaptent leurs méthodes en se professionnalisant, en misant sur l’hospitalité territoriale et en intégrant des enjeux environnementaux comme leviers essentiels d’attractivité future.
En 2008, 62% des salariés français déclaraient préférer gagner plus d’argent, quitte à avoir moins de temps libre. En 2022, c’est tout l’inverse : 61% affirment préférer gagner moins, mais de disposer davantage de temps libre. Ce basculement, mis en lumière par la Fondation Jean-Jaurès, résume à lui seul l’esprit de l’étude Évolution des facteurs d’attractivité, publiée en juin dernier par la Fédération nationale des agences de développement économique, le CNER. Loin des seules considérations productivistes, l’attractivité territoriale s’évalue désormais à l’aune d’un ensemble de critères plus « subjectifs ».
Des critères invisibles devenus décisifs
« L’attractivité territoriale, c’est la capacité d’un territoire à attirer et à retenir des entreprises, des talents et des habitants » résume Lise Bourdeau Lepage, professeur de géographie à l’université Jean Moulin-Lyon 3 et copilote de cette étude avec Cindy Edmond, responsable étude et publications au CNER. Pendant des années, cette attractivité a reposé sur des éléments tangibles : infrastructures, accessibilité, fiscalité, offre immobilière. Ce que Lise Bourdeau-Lepage qualifie de « facteurs hard caractéristiques d’une logique productiviste ». Mais ce modèle a atteint ses limites. « Les attentes ont changé. Les individus recherchent un équilibre entre vie professionnelle et personnelle, un cadre de vie agréable, de la proximité, du lien social », observe-t-ell.
L’étude du CNER en dresse une typologie précise : nature, tranquillité, sécurité, accès aux soins, services de proximité, qualité des relations sociales, ou encore implication citoyenne. Autant d’éléments souvent perçus comme secondaires hier, mais aujourd’hui décisifs dans les choix de localisation. « Ce sont les facteurs que j’ai qualifiés de soft, par opposition aux hard. Il s’agit de critères relatifs à la qualité du cadre de vie, des relations sociales et des services publics. » Ainsi, on est passé d’une attractivité productiviste à une « attractivité territoriale qualitative » selon Lise Bourdeau Lepage. Loin d’être une simple évolution sémantique, cette notion traduit un véritable changement de cap pour les collectivités. Et représente une opportunité pour des territoires longtemps jugés peu attractifs. L’étude souligne ainsi la montée en puissance des villes moyennes, des territoires ruraux et périurbains, souvent mieux armés pour répondre à ces nouvelles attentes.
Mais l’attractivité reste un concept fondamentalement relatif selon Lise Bourdeau-Lepage. « Il faut toujours se demander pour qui et pourquoi un territoire est attractif », rappelle-t-elle. « Un actif, une famille, une entreprise ou un médecin n’ont ni les mêmes besoins, ni les mêmes moteurs de décision » détaille-t-elle.
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Un métier transformé par les attentes sociales et environnementales
Ce basculement pousse les agences d’attractivité à revoir leurs pratiques.
Finies les grandes campagnes uniformes. Désormais, les territoires affinent leur image, ciblent leurs publics, précisent leur discours. « Le métier se professionnalise fortement. Les agences s’approprient les codes du marketing et de la communication, mais approfondissent aussi leur connaissance du territoire », analyse Lise Bourdeau-Lepage. Sur le terrain, « les agences travaillent avec de nombreux acteurs locaux : entreprises, collectivités, chambres consulaires, agences régionales de santé, habitants, clubs, associations… Le mot d’ordre est la collaboration » poursuit-elle. De nombreux territoires mettent également désormais en place des dispositifs concrets pour accompagner les nouveaux arrivants : aide à la recherche de logement, emploi du conjoint, inscription scolaire, intégration locale… Cette hospitalité territoriale, encore rare il y a quelques années, devient un marqueur stratégique.
Mais cette attractivité renouvelée ne va pas sans défis. Les tensions sur le logement, la rareté du foncier, l’inégalité d’accès aux soins ou encore les effets du changement climatique viennent complexifier la donne. Pour Lise Bourdeau-Lepage, l’environnement devient un facteur d’attractivité à part entière. « Un des leviers majeurs pour demain, c’est de prendre soin de l’environnement. Il faut adapter les territoires au changement climatique pour garantir un cadre de vie agréable aux habitants-travailleurs. »
Biographie express de Lise Bourdeau-Lepage
Lise Bourdeau-Lepage est Professeur de géographie à l’université Jean Moulin – Lyon 3 depuis 2011, après avoir été Maître de Conférence en économie à l’université Paris Saclay et Chargée de Recherche à l’INRAE à Grenoble. Docteur en économie et Chercheur à l’UMR 5600 Environnement, Ville, Société, ses travaux dans une optique pluridisciplinaire, portent sur les transformations socio-spatiales actuelles induites par l’adaptation au changement climatique et les changements sociétaux en cours.
Elle s’intéresse actuellement à la place de la nature en ville, la mesure du bien-être des individus, l’attractivité territoriale, les inégalités socio-spatiales et au rôle du sensible dans l’aménagement urbain. Elle a dirigé plusieurs projets de recherche dont le plus emblématique BRRISE (un projet européen d’innovation sur fonds FEADER couplé un PSDR IV de l’INRAE) portait sur le bien-être des personnes et l’attractivité territoriale.
Ses travaux ont une forte portée opérationnelle. Elle a créé des outils permettant de faire participer la population et de mesurer le bien-être des habitants (jeu de cartes Tell_Me). Ainsi ses travaux visent à accompagner la conception d’aménagements qui répondent aux attentes de la population, suscitent des émotions positives. Il s’agit en particulier de mobiliser le végétal, permettant d’apporter une réponse aux enjeux d’adaptation au changement climatique, et de favoriser le bien-vivre en ville.
Elle a publié plusieurs ouvrages dont en 2025 : Evolution des facteurs d’attractivité. Le point de vue des agences d’attractivité, en 2020 : Evaluer le bien-être sur un territoire ; en 2017 : Nature en ville : désirs et controverses chez Librairie des Territoires ; 2014 : Nature en ville : attentes citadines et actions publiques chez Editopics (avec R. Vidal) ; 2012 : Regards sur la ville chez Anthropos et en 2009 : le manuel Économie des villes contemporaines sorti chez Economica (avec J.-M. Huriot).



