Michel Fournier, président de l’AMRF
Publié le 08.02.24 - Temps de lecture : 4 minutes

3 questions à Michel Fournier, président de l’AMRF « La ruralité ce n’est pas seulement ce qui n’est pas urbain »

« À jamais libre et non incorporable ». Tels sont les mots que l’on peut lire sur le petit panneau cloué sur le mur de la mairie des Voisvres, petit village de 292 habitants niché au sud des Vosges, administré par Michel Fournier, président de l’Association des Maires Ruraux de France (AMRF) et vice-président de l’ANCT, l’Agence Nationale de la Cohésion du Territoire.

Au moment de son élection à la vice-présidence de l’ANCT, Michel Fournier a souligné l’importance du rôle de solidarité joué par l’agence notamment « pour que les communes rurales bénéficient de la gratuité dans l’accès à ce service d’ingénierie sur mesure ». Cette intégration d’une nouvelle définition de la ruralité est une révolution à consolider selon l’AMRF, qui fait de « Villages d’avenir » un des chantiers à inscrire durablement aux côtés des programmes existants.

Envies de Ville : Pouvez-vous nous décrire votre association, son organisation, sa gouvernance ?

Michel Fournier : L’AMRF est une fédération d’associations départementales avec 86 fédérations de maires ruraux départementaux en France métropolitaine que nous défendons et dont nous représentons les intérêts. Notre siège est à Lyon et je suis à la tête d’un exécutif de plus de 20 personnes. Nous sommes une association loi 1901 dont les missions s’organisent autour de 3 axes principaux : le couple ‘commune et maire’, la production de services au public et la logique de développement équilibré du territoire. Aujourd’hui, nous sommes encore dans un tropisme de développement déséquilibré. La politique régionale est trop souvent urbano-centrée, toujours motivée par l’urbain et ce pour une raison très simple : le mode d’élection. Nous portons une réponse institutionnelle à ce déséquilibre, nous ne sommes pas un lobby au sens parlementaire du terme, nous sommes plutôt un groupe de pression.

En 10 ans, le travailleur pendulaire a doublé sa distance parcourue, cet éloignement dit tout du renchérissement du foncier.

On parle toujours du nombre d’habitants dans les textes constitutionnels mais on ne parle pas de l’espace. La notion de territoire est un mot-valise utilisé lorsqu’on ne sait pas de quoi l’on parle ou lorsqu’on a une idée derrière la tête. Parlons de l’espace, de la surface ! Le rural représente 88% de la superficie du pays, au sens de la définition de l’Insee, et cette surface rurale héberge 33% de la population, soit à peu près 22 millions d’habitants. Notre fédération compte 12.000 communes adhérentes sur les 32.000 que compte l’espace rural. Pour définir une commune rurale nous prenons en compte la densité. La nouvelle définition qui s’appuie sur des critères de densité correspond à la pratique appliquée aux communes de moins de 3.500 habitants. Cette règle a perduré, notamment pour protéger les modes de scrutin, puis l’INSEE a déplacé la ligne de 2.000 à 2.500-3.000 habitants. Mais au fin fond du Cantal, vous n’êtes pas une ville ! Voilà un de nos longs combats menés ces dernières années, faire reconnaître ce qu’est la ruralité, dire haut et fort que la ruralité, ce n’est pas seulement ce qui n’est pas urbain, contrairement à la définition officielle dans notre pays : « N’est rural que ce qui n’est pas urbain ».


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Comment travaillez-vous les notions d’aménagement et de logement au sein de votre association ?

Nos territoires ont des potentiels de création de richesse qui sont souvent sous-estimés. Tous les matins, la majorité des ruraux actifs part travailler en ville. Dans un grand nombre de communes, il n’y a jamais eu d’entreprises. En revanche, bon nombre de communes accueillent des entreprises jamais présentes auparavant, ce qui pose la question de la répartition. Sur la question du logement, le chef de l’État annonce vouloir redistribuer la compétence, c’est très bien, mais notre souci n’est pas de savoir qui a la compétence, c’est de savoir qui va venir investir. Plus personne ne veut travailler sur de petites opérations, même les bailleurs sociaux n’y trouvent plus aucun intérêt. Ce modèle est complètement contre-intuitif par rapport à l’évolution nécessaire de la société. Le monde rural gagne des habitants et c’est plutôt positif. Bien sûr que les territoires perdent des habitants mais Paris perd beaucoup plus d’habitants que n’importe quel village de France. En 10 ans, le travailleur pendulaire a doublé sa distance parcourue, cet éloignement dit tout de l’enchérissement du foncier. Opérateurs industriels, économiques, privés, publics, prenez conscience du potentiel que recèle le monde rural pour régler une majorité de nos problèmes.

Quand allons-nous ouvrir un débat à propos d’un aménagement qui se poserait à nouveau la question de la maison individuelle ?

La rénovation est aussi une question importante. Prenez « Ma prime rénov’ » par exemple, aujourd’hui un bailleur privé désireux de rénover son logement ne sait pas par où commencer, à qui s’adresser. Nous avons des outils avec les ALEC (Agences Locales de l’Énergie et du Climat, des organismes d’animation territoriale qui œuvrent pour la transition écologique au sein des collectivités territoriales et de leurs groupements), mais il y en a très peu en France, c’est un outil de proximité mais qui ne couvre pas le territoire dans son ensemble, ne permettant pas cet aménagement équilibré du territoire.

On se retrouve très souvent dans cette question de carence en termes d’ingénierie et de modèle économique. Quand on travaille avec les opérateurs, ils ne savent pas nous définir un modèle équilibré pour aller construire, produire du logement ou de la rénovation.

Nous pouvons également parler de la construction nouvelle. Éric Suzanne, le sous-préfet de l’Hérault, le dit clairement : il y a beaucoup plus de questions à se poser sur la construction nouvelle. Comment peut-on soutenir les maires qui souhaitent araser les vieux quartiers devenus des passoires thermiques ? On arase et on fait du R+2, R+3. Beaucoup de villages l’ont déjà fait mais cette pensée de refaire la ville sur la ville n’est absolument pas envisagée. Nous sommes prisonniers d’un débat plus global. Quand allons-nous ouvrir un débat, collectivement, à l’échelle nationale, à propos d’un aménagement qui poserait à nouveau la question de la maison individuelle ?

EDV : Quels sont vos axes prioritaires pour 2024 ?

Michel Fournier : Santé, transition, mobilité, statut de l’élu. La transition écologique sera notre grand atelier de l’année. Nous allons challenger l’écosystème local, l’État évidemment, mais aussi les opérateurs privés. Maintenant, que fait-on ? Comment intégrer les entrepreneurs du coin ? Quid de la question des mobilités ? Nous allons mettre des moyens et de l’énergie pour animer des débats dans une quinzaine de départements volontaires autour de la transition écologique.

Nous avons tous les ans un congrès annuel qui se déroulera cette année du 27 au 29 septembre dans le village d’Arceau, à 25 km de Dijon. Nous y parlerons des liens entre Commune et Département et du statut de l’élu. Aujourd’hui c’est la complexification grandissante des relations avec l’État qui doit être étudiée. Nous avons moins de moyens mis à disposition par l’État pour mettre en place les injonctions. C’est le principe des injonctions paradoxales : faites de la transition mais arrêtez de dépenser, occupez-vous des gens mais réduisez les dépenses de fonctionnement, éduquez mais fermez des classes. Non ! Faites-le mais que ça coûte moins cher !

Grâce à Villages d’avenir, les villages ruraux ont enfin accès à plus d’ingénierie »

Avec Village d’avenir, l’État prend conscience qu’il existe de très beaux projets pour refaire du logement, pour refaire le village sur lui-même. C’est la première année où l’on obtient de l’État qu’il crée un programme dans une de ses agences, l’Agence Nationale de Cohésion des Territoires. Jusqu’à maintenant dans notre pays, il n’y avait pas de programme dédié aux villages. Nous avions obtenu « Petites villes de demain » qui concernait 800 communes sur 32.000 mais depuis la fin de l’année, 2.400 villages ont été qualifiés « Villages d’avenir ». Ce programme est une excellente initiative pour aider les communes rurales à se développer et à améliorer la qualité de vie de leurs habitants. Grâce à ce programme, ces villages ruraux ont enfin accès à plus d’ingénierie. En attendant la suite. Nous avons des idées pour cela.

Envies de ville : des solutions pour nos territoires

Envies de ville, plateforme de solutions pour nos territoires, propose aux collectivités et à tous les acteurs de la ville des réponses concrètes et inspirantes, à la fois durables, responsables et à l’écoute de l’ensemble des citoyens. Chaque semaine, Envies de ville donne la parole à des experts, rencontre des élus et décideurs du territoire autour des enjeux clés liés à l’aménagement et à l’avenir de la ville, afin d’offrir des solutions à tous ceux qui “font” l’espace urbain : décideurs politiques, urbanistes, étudiant, citoyens…

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