ITW de Frédéric Gilli : une rame du nouveau RER parisien aux couleurs des JO.
Publié le 03.12.25 - Temps de lecture : 3 minutes

« L’Île-de-France vit une bascule urbaine sans précédent »

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Alors que la région Île-de-France se transforme en profondeur, Frédéric Gilli, professeur à l’École urbaine de Sciences Po et directeur associé de l’agence Grand public, décrypte les mutations en cours. Il interroge par ailleurs les conditions d’une métropole vivable et inclusive à l’horizon 2050.

À RETENIR

  • L’Île-de-France connaît une recomposition sociale marquée par l’exclusion croissante des classes moyennes et des jeunes du centre, provoquant un éloignement résidentiel et des tensions sur les services publics.
  • Une densification rapide de la première couronne transforme profondément le tissu urbain, renforcée par l’arrivée du Grand Paris Express qui reconfigure les centralités métropolitaines.
  • La frontière symbolique entre Paris et sa banlieue tend à disparaître, avec l’émergence d’une « zone centrale élargie » intégrant de nombreuses communes auparavant périphériques.
  • Les défis à anticiper incluent l’adaptation climatique, le vieillissement démographique, le maintien de la vitalité économique, et la nécessité d’un dialogue démocratique pour éviter les fractures sociales.

Quels sont les changements urbains les plus structurants à l’œuvre en ce moment en Île-de-France ?

Frédéric Gilli : Ils sont de deux ordres. D’abord, un bouleversement social lié à la recomposition du peuplement. On assiste à une spécialisation croissante des territoires, marquée par les difficultés grandissantes de la classe moyenne et moyenne supérieure à se loger dans Paris et sa proche couronne. Ce phénomène touche aussi fortement les jeunes. Paris leur est devenu inaccessible. Ils s’installent plus loin, souvent en grande couronne, faute de mieux. Cela crée des tensions, y compris sur la continuité des services publics, car les personnels qui font vivre la ville comme les soignants, les enseignants ou encore les employés de la restauration ne peuvent plus se loger à proximité de leur lieu de travail. Ce mouvement de relégation affecte l’ensemble de la région, et génère un sentiment d’insécurité sociale. L’autre mutation, plus physique, est la densification rapide de la première couronne. On assiste à un doublement voire plus de la surface bâtie autour de Paris : logements, commerces, emplois, transports. Des territoires encore en marge du réseau métropolitain vont devenir des centralités, notamment avec l’arrivée du Grand Paris Express. Et cela ne s’arrête pas aux villes directement concernées : cette dynamique entraîne un effet de propagation bien au-delà, vers la deuxième voire la troisième couronne.

La frontière entre Paris et sa banlieue est-elle en train de disparaître ?

Frédéric Gilli : Oui, très clairement. On voit émerger un nouveau cœur métropolitain. Un large bandeau de 7 à 8 kilomètres autour du périphérique est en train de devenir  une « zone centrale élargie ». Autrement dit, des communes qui étaient encore perçues comme périphériques intègrent progressivement l’espace central. Cela redéfinit la hiérarchie des lieux, les mobilités, les représentations mentales. C’est une recomposition silencieuse, mais profonde.


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Quel rôle joue le Grand Paris Express dans ce basculement ?

Frédéric Gilli : Son impact est encore sous-estimé. Pour l’instant, on en mesure surtout l’effet fonctionnel : des communes mieux desservies, des temps de transport réduits. Mais le vrai changement sera culturel. Le Grand Paris Express va modifier notre manière de penser la région. Aujourd’hui, si vous partez du sud du 14e arrondissement pour aller à Orly, vous êtes contraint de repasser par le centre pour changer de ligne. Demain, vous ferez le trajet en rocade, sans repasser par Paris. Ce simple exemple illustre un basculement profond : les centralités se déplacent vers l’extérieur. Cela transforme les pratiques quotidiennes, mais aussi les représentations que chacun se fait de son territoire. On n’habite plus à la marge : on habite au cœur d’un réseau.

Quels sont les défis qu’il faut anticiper dès aujourd’hui pour que la métropole reste vivable en 2050 ?

Frédéric Gilli : Il y en a plusieurs. Le premier est climatique. Tous les logements ne pourront pas être rénovés d’ici 2050. Il y aura donc des bâtiments où il fera 50 °C l’été. Il faut dès maintenant créer des oasis de fraîcheur accessibles à pied, des lieux de proximité où les habitants puissent se réfugier en période de canicule. Deuxième enjeu : le vieillissement. D’abord, il y aura davantage de personnes âgées et de personnes dépendantes : il faut adapter logements, bâtiments et espaces publics à ces nouvelles exigences. Surtout, comme ces personnes vivront plus longtemps, cela va accroître la demande ‘stock’ de logements. Jusqu’à présent, les décès libéraient des logements. Ce ne sera plus le cas. Il faudra donc produire davantage de logements pour les jeunes, tout en adaptant nos services aux besoins d’une population dépendante. Troisième défi : la vitalité économique. L’Île-de-France a toujours été un territoire d’innovation. Il faut s’assurer qu’elle le reste, en investissant dans les bons secteurs, au bon endroit. Enfin, il y a un enjeu démocratique. Tous ces bouleversements peuvent créer des tensions : jeunes contre vieux, propriétaires contre locataires, Parisiens contre banlieusards ou encore touristes contre habitants. Une ville ne peut pas être un champ de bataille permanent. Elle doit rester un lieu de rencontre, d’échange, de coexistence. Cela suppose de construire un dialogue collectif, à la hauteur des mutations en cours… et cela engage et se retrouve dans chacun des projets d’aménagement.

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