Un atelier pour enfants mené par LDV Studio Urbain, promeut une nouvelle approche de la ville : un « urbanisme du care » centré sur les vulnérabilités et le lien social.
Publié le 16.12.25 - Temps de lecture : 4 minutes

« Avec l’urbanisme du care, chaque projet urbain devient une opportunité de régénération sociale »

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Yoann Sportouch, philosophe et fondateur de LDV Studio Urbain, promeut une nouvelle approche de la ville : un « urbanisme du care » centré sur les vulnérabilités et le lien social. À rebours des logiques économiques dominantes, il plaide pour une ville solidaire, attentive aux besoins locaux et fondée sur la réparation. Rencontre.

À RETENIR

  • L’urbanisme du care propose une approche centrée sur les vulnérabilités humaines, sociales et environnementales, en rupture avec les logiques dominantes de rentabilité et d’attractivité.
  • Il s’agit d’une éthique transversale qui privilégie la co-construction avec les habitants, la réparation du tissu urbain existant, et l’attention aux besoins invisibles du quotidien.
  • Cette démarche se concrétise par des projets inclusifs et adaptés localement, comme les « rues aux écoles » ou des espaces dédiés à la santé mentale, conçus avec les usagers.
  • Les principaux freins sont d’ordre culturel et politique, exigeant un changement de paradigme vers une vision plus lente, sociale et démocratique de la fabrique urbaine.

Qu’appelle-t-on concrètement « l’urbanisme du care » et en quoi se distingue-t-il des approches traditionnelles de l’aménagement urbain?

Yoann Sportouch : L’urbanisme du care » consiste à concevoir la ville à partir de l’attention aux personnes et à leurs vulnérabilités, qu’elles soient sociales, environnementales ou démocratiques. Cet urbanisme repose sur une responsabilité partagée : il s’agit de prendre soin de ces fragilités dans chaque projet de fabrique de la ville, qu’il s’agisse d’une réhabilitation, d’une construction ou d’un aménagement d’espace public. Contrairement à l’urbanisme classique, guidé par l’attractivité ou la rentabilité, « l’urbanisme du care » se fonde sur l’expérience vécue et les besoins souvent invisibles des habitants. Il s’agit moins d’un modèle figé que d’une éthique professionnelle, transversale aux métiers de la fabrique urbaine, qui cherche à réparer, à relier et à prendre soin.

Est-ce une approche récente?

Yoann Sportouch : Non, le souci des vulnérabilités n’est pas nouveau. De nombreuses pratiques humanistes existent depuis longtemps dans le domaine de l’urbanisme : villes à hauteur d’enfant, attention au vieillissement ou aux publics marginalisés. Ce qui change aujourd’hui, c’est le contexte : nous faisons face à des crises multiples, climatiques, sociales et démocratiques qui imposent un changement de paradigme. Dans ce cadre, « l’urbanisme du care » apparaît comme une boussole commune qui propose de répondre aux urgences contemporaines, non pas par la seule efficacité économique, mais par le soin apporté aux fragilités qui traversent nos sociétés et nos territoires.

Quels leviers permettent à la ville de « prendre soin » de ses habitants?

Yoann Sportouch : La première étape est de reconnaître la vulnérabilité comme universelle et structurante : chacun peut dans sa vie connaître la maladie, la perte d’un emploi ou la dépendance. Dès lors, l’urbanisme doit écouter les signaux faibles du territoire, travailler avec les habitants et coconstruire des réponses adaptées. Cela implique de développer des espaces d’interaction sociale et de renforcer les services de proximité. Le but n’est pas de se concentrer seulement sur les « plus fragiles », mais de faire de ces vulnérabilités un levier pour rendre la ville plus juste et plus humaine.


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Comment traduire cette philosophie dans les projets urbains?

Yoann Sportouch : Cela suppose un changement de culture. Avant tout projet, il faut mener des diagnostics d’usage et s’immerger dans le quotidien des habitants. Ce travail d’écoute et de compréhension dépasse le périmètre technique et doit permettre de renouveler la concertation, trop souvent prétexte à une simple validation de projet. La ville doit être pensée dans sa continuité, avec une cohérence globale et le souci de valoriser l’existant, en privilégiant la réparation à la substitution. L’idée est de considérer le projet urbain comme une opportunité de générer du lien social. Cela passe par des permanences architecturales ou urbaines, une programmation ouverte aux associations locales et la reconnaissance des habitants comme coconcepteurs capables d’apporter leurs propres solutions.

Quels exemples inspirants illustrent ce modèle de ville attentive et inclusive?

Yoann Sportouch : On peut citer les « rues aux écoles » ou cours oasis, qui transforment l’espace public au bénéfice des enfants. Il y a aussi le centre de jour Adamant qui accueille des adultes souffrant de troubles psychiques au sein d’une péniche amarrée sur la Seine en face de la gare d’Austerlitz. Cette structure a été pensée par Cynthia Fleury et Éric de Thoisy comme un espace vecteur de soin. Autre exemple dans une ZAC du Calvados, où la programmation des rez-de-chaussée a été repensée après dialogue avec des éducateurs de rue : plutôt qu’imposer des commerces, un local discret a été dédié à la prévention auprès des jeunes en décrochage. Ces expériences montrent que partir des situations locales permet d’ajuster le projet aux besoins réels et d’y répondre de manière responsable.

Comment intégrer la santé mentale dans l’urbanisme?

Yoann Sportouch : Habiter ne se résume pas seulement à disposer d’un toit. La santé psychique dépend aussi des espaces vécus : de leur qualité, de leur capacité à réconforter, à favoriser l’estime de soi et les interactions sociales. En créant des lieux inclusifs, ouverts aux marges, on agit déjà pour la santé mentale. Cela demande d’écouter les usagers, y compris ceux en souffrance, et de reconnaître leur expertise vécue. Dans cette logique, l’expert n’est plus uniquement l’urbaniste ou l’architecte : il devient coconstructeur aux côtés des habitants.

Quels sont les freins à la généralisation de cette approche?

Yoann Sportouch : Les obstacles sont avant tout culturels et politiques. L’aménagement reste trop technocratique, guidé par des logiques économiques de court terme. Les appels d’offres ou concours laissent peu de temps pour engager des démarches patientes de régénération sociale. Passer à « l’urbanisme du care » suppose de sortir de la rentabilité immédiate et d’assumer un courage politique : accepter que le projet urbain ne soit pas seulement une réponse fonctionnelle à une commande, mais un levier de transformation sociale et démocratique.

Réconcilier l’humain et le territoire, c’est là la promesse d’une ville plus attentive, et plus durable. 

Quel impact attendre pour les territoires et leurs habitants?

Yoann Sportouch : « L’urbanisme du care » invite à faire de la ville non seulement un lieu de vie, mais aussi un véritable milieu de soin. Reconnaître cette dimension suppose d’interroger les infrastructures, les lieux de consommation ou de culture : tous peuvent contribuer à prendre soin des habitants. En ce sens, chaque projet urbain devient une opportunité de régénération sociale, de lutte contre l’isolement et de renforcement de la démocratie locale. Réconcilier l’humain et le territoire, c’est là la promesse d’une ville plus attentive, et plus durable.

Envies de ville : des solutions pour nos territoires

Envies de ville, plateforme de solutions pour nos territoires, propose aux collectivités et à tous les acteurs de la ville des réponses concrètes et inspirantes, à la fois durables, responsables et à l’écoute de l’ensemble des citoyens. Chaque semaine, Envies de ville donne la parole à des experts, rencontre des élus et décideurs du territoire autour des enjeux clés liés à l’aménagement et à l’avenir de la ville, afin d’offrir des solutions à tous ceux qui “font” l’espace urbain : décideurs politiques, urbanistes, étudiant, citoyens…

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