
Jardinier-photographe à Villeurbanne : « On voit rarement des expositions sur des métiers comme les nôtres »
En reconversion professionnelle, Timothée Mathelin a troqué le graphisme et la photo pour un poste aux espaces verts de Villeurbanne. De cette expérience inattendue est née une série de plus de 100 clichés, capturant le quotidien des jardiniers municipaux entre béton, nature et récits de vie. Une immersion sensible dans un service public souvent invisible, aujourd’hui mise en lumière par une exposition itinérante.
À RETENIR
- Timothée Mathelin, ancien graphiste et photographe, s’est reconverti fin 2023 en jardinier municipal à Villeurbanne, découvrant un univers de travail inattendu qui l’a profondément inspiré.
- Il a réalisé plus de 100 photographies et des interviews de collègues pour documenter le quotidien souvent invisible des agents des espaces verts, aboutissant à une exposition commandée pour le festival Côté Jardins.
- L’exposition itinérante valorise des métiers essentiels mais peu reconnus, à travers des portraits, scènes de travail et paysages urbains végétalisés, dans un esprit proche du documentaire social.
- Le projet a été salué par le public et les institutions, et poursuit sa diffusion dans différents lieux municipaux, tout en marquant un moment fort dans le parcours personnel et artistique de Timothée Mathelin.
Quel a été votre parcours avant d’être employé aux espaces verts de Villeurbanne ?
Timothée Mathelin : Avant, je travaillais dans l’économie sociale et solidaire, la communication, le graphisme et la photo. C’était un univers très différent. Et puis fin 2023, j’ai opéré un virage, par nécessité : je suis arrivé aux espaces verts de Villeurbanne. Ce n’était pas du tout prévu, surtout dans une ville d’où j’étais originaire mais que j’avais cherché à quitter… et qui a fini par m’embaucher.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de photographier vos collègues et votre environnement de travail ?
Timothée Mathelin : Le milieu était tellement nouveau, tellement singulier, qu’on me disait souvent : « Toi, t’es un ovni ici. » Ça m’a donné l’idée d’en faire quelque chose. J’ai commencé à prendre des photos avec mon téléphone : des collègues, des saisons, les lieux où l’on travaille. C’est devenu presque quotidien. J’ai aussi interviewé des collègues pendant les pauses. J’avais encore un micro de mon passage en radio associative, alors j’ai enregistré des heures de témoignages. Les parcours de vie sont passionnants, et le travail, parfois, a quelque chose de décalé. C’est tout ça que j’ai voulu capter. J’ai présenté les premières images à ma direction, et la réaction a été immédiate : « Il faut qu’on en fasse une expo. » C’est comme ça que l’exposition a été commandée pour le festival Côté Jardins.
De quoi est composée l’exposition ?
Timothée Mathelin : Il y a un peu plus de 100 photographies. Ce sont des portraits, des clichés pris sur le vif, des images plus esthétiques aussi – des gros plans de végétaux, des scènes de travail, des paysages urbains avec une touche de vert. L’idée était de montrer le quotidien des agents territoriaux, jardiniers et jardinières, arboristes élagueurs, contrôleurs de jeux et de mobilier, à travers les saisons et les différents quartiers de Villeurbanne. Ces métiers sont essentiels, mais rarement valorisés. Et en ce moment, ils attirent de plus en plus de gens en reconversion.

©Timothée Mathelin
Pourquoi ce sujet vous touche-t-il autant ?
Timothée Mathelin : Parce que j’aime les gens. J’aime les parcours un peu à côté, loin du mythe de l’entrepreneur que l’on sur-valorise actuellement. J’ai toujours aimé photographier le quotidien, les visages dans la rue, les vendeurs ambulants, les ouvriers, les mères de famille. J’admire les travaux de Raymond Depardon, et c’est un peu dans cet esprit-là que je me situe. Villeurbanne, c’est une ville marquée par son passé ouvrier qui peut être assez minérale. Alors, voir le vert qui reprend sa place, surtout au printemps, ça crée des images fortes. Et la ville met les moyens pour ça.
Qu’est-ce qui vous plaît dans ce métier, concrètement ?
Timothée Mathelin : Le cadre, d’abord. Après des années d’emplois stressants, retrouver une forme de régularité, c’est appréciable. Le rythme est très humain. On se retrouve le matin, on boit un café, on discute des tâches de la journée. Il y a une vraie vie dans le travail. Ce que j’aime aussi, c’est le rapport au temps : le temps d’apprendre, d’observer, de reconnaître les plantes, de comprendre ce qu’il faut tailler ou laisser pousser. Par exemple, la compréhension du cycle de vie des plantes nécessite qu’on le veuille ou non d’avoir du temps dédié à l’observation des trajectoires d’évolution. Il y a également de la pédagogie à développer envers l’usager, les collègues dont l’envie ou le rapport à la compétence peut varier et il faut s’adapter. En tout cas, je découvre des collègues passionnés, certains te parlent en latin toute la journée en citant les noms scientifiques de chaque plante !
Comment voyez-vous votre rôle au sein de l’équipe ?
Timothée Mathelin : Je me sens un peu en décalage. Je travaille dur, mais j’observe aussi, je jardine, j’apprends. Mais je reste un peu à la marge, comme un témoin. Et comme on travaille souvent dans la rue, on est au contact du petit théâtre urbain : passants, voitures, gamins, imprévus. Il y a un vrai brassage dans les équipes : des gens qui ont fait l’armée, des anciens cadres en burn-out, des travailleurs sociaux, des gars en réinsertion, des passionnés de bio, ou l’oncle d’un footballeur local… Et malgré mon profil un peu « bobo avec ses fleurs », je suis accepté. C’est un vrai mélange, un microcosme.
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Comment votre travail participe-t-il au bien-vivre en ville ? À l’écologie ?
Timothée Mathelin : L’entretien des espaces verts, c’est vital. On plante des espèces endémiques, on s’adapte au réchauffement climatique, on crée des jardins secs pour limiter l’arrosage. On réfléchit à comment faire du beau, du durable, sans phytosanitaires. C’est à la fois technique, esthétique et scientifique. Moi, je m’en fiche un peu des machines, des tondeuses, mais j’aime voir les jacinthes pousser, constater que cette année les iris ont bien fleuri. Voir des enfants jouer sur une pelouse bien entretenue, c’est gratifiant.
Concrètement, comment s’est déroulée l’exposition ?
Timothée Mathelin : Elle a été présentée pour la première fois en avril 2025, sur l’avenue Henri Barbusse, en plein cœur de Villeurbanne, pendant le festival Côté Jardins. Le maire et plusieurs élus sont venus. Ils ont aimé et ont souhaité que l’expo circule. J’ai alors contacté des lieux culturels et institutionnels de la ville. En juillet, elle sera accrochée dans les jardins de la médiathèque Le Rize. Ensuite, dans les locaux de la mairie (dates à confirmer), puis au restaurant municipal – le Restotem – de septembre à novembre. Là, ce seront les agents de la ville, tous services confondus, qui pourront la voir. Et ça, c’est important pour moi : partager ces images avec ceux qui y figurent.
Les retours ont été bons ?
Timothée Mathelin : Très bons. Les gens m’ont dit : « On voit rarement des expositions sur des métiers comme les nôtres. » Des métiers peu valorisés, peu rémunérés, mais fondamentaux. Et ce que j’ai aimé, c’est la liberté totale que la mairie m’a laissée. Aucun regard suspicieux, aucune censure. J’ai eu carte blanche du début à la fin.
Et maintenant ? Quels sont vos projets ?
Timothée Mathelin : Je continue à travailler en freelance à côté. Je donne des formations sur la communication graphique, je fais des visuels pour des groupes de musique, des photos de concerts, de pochettes d’albums. Mais ce projet-là reste à part. C’est un moment de vie que j’ai voulu documenter. Et je suis content d’avoir pu le faire de l’intérieur.
Retrouvez le travail de Timothée Mathelin sur Instagram et sur son site Internet

©Timothée Mathelin