Transports du quotidien : un impact méconnu sur la santé mentale
Publié le 05.06.25 - Temps de lecture : 3 minutes

Transports du quotidien : un impact méconnu sur la santé mentale

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Menée en 2024 par Victor Delage et Angèle Malâtre-Lansac pour le compte de l’Institut Terram et l’Alliance pour la Santé Mentale, l’étude «Mobilités : la santé mentale à l’épreuve des transports» explore les effets psychologiques des trajets quotidiens en France. En croisant données d’opinion et analyse territoriale, elle révèle comment une mobilité subie peut peser lourdement sur le bien-être mental, un sujet encore largement absent des politiques publiques.

À RETENIR 

  • L’étude menée par l’Institut Terram révèle que les trajets quotidiens peuvent avoir un effet direct et délétère sur la santé mentale, avec un lien de causalité établi entre déplacements contraints et troubles psychiques. 
  • 41 % des personnes ayant connu une dépression, 43 % des personnes en burn-out et 46 % de celles ayant subi des accès de colère associent leurs trajets à une aggravation de leur état. 
  • Les jeunes femmes et les parents isolés sont particulièrement vulnérables, en raison de contraintes multiples et d’un fort sentiment d’insécurité dans les transports. 
  • Les habitants des zones urbaines sont plus touchés psychologiquement que les ruraux, en raison de la congestion, des retards et de la promiscuité, malgré des distances souvent plus courtes. 

« Quand la mobilité est bien pensée, elle peut nourrir un sentiment de liberté. Dès lors qu’elle est entravée, elle peut générer de l’anxiété, de la fatigue chronique, voire une certaine usure mentale » commence Victor Delage, le fondateur de l’Institut Terram co-auteur avec Angèle Malâtre-Lansac de l’étude « Mobilités : la santé mentale à l’épreuve des transports ». Un travail qui entend documenter ce que chacun ressent mais que peu de chiffres viennent étayer : les trajets du quotidien ne sont pas neutres. Ils modèlent nos rythmes de vie, structurent notre emploi du temps et, selon les conditions dans lesquelles ils s’effectuent, influencent notre équilibre psychologique. « Il y a très peu de choses qui renseignent l’impact des déplacements sur la santé, et plus spécifiquement sur la santé mentale », note Victor Delage. Ce décalage est d’autant plus frappant que d’autres pays, notamment nordiques ou anglo-saxons, documentent ce lien depuis plusieurs années. 

Santé mentale et transports : une relation de cause à effet 

Les résultats de l’étude sont sans appel : les transports peuvent aggraver des troubles psychiques existants ou en déclencher de nouveaux. Parmi les personnes ayant connu des épisodes dépressifs, 41 % estiment que leurs difficultés de déplacement en sont en partie responsables. Et cette tendance ne se limite pas à la dépression. 43 % des sondés ayant vécu un burn-out pointent également leurs trajets comme facteur aggravant. Le chiffre grimpe à 44 % chez les personnes ayant eu recours à des antidépresseurs, et 46 % chez celles ayant subi des accès de colère violente. 

« Ce n’est pas une simple corrélation, c’est une causalité », insiste Victor Delage. Trajets à rallonge, retards, incivilités, sentiment de ne pas maîtriser son temps… Les déplacements deviennent une source constante de tension mentale. La variable déterminante, selon l’auteur, reste le temps passé dans les transports, souvent plus impactant que la distance elle-même. 

Les visages de la mobilité subie 

Certains groupes sont plus exposés que d’autres à cette usure mentale liée à la mobilité. Les femmes, et en particulier les jeunes femmes, ainsi que les parents isolés, cumulent les contraintes logistiques, professionnelles et domestiques. L’insécurité perçue est également un facteur clé : 60 % des femmes de moins de 35 ans déclarent ne pas se sentir en sécurité dans leurs trajets quotidiens. Une donnée qui amplifie l’impact psychique du transport, notamment dans les périodes de surcharge ou aux heures de pointe. 


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L’effet invisible des territoires 

Contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas les habitants des zones rurales qui souffrent le plus de leurs déplacements, mais bien les urbains. L’étude révèle que 39 % des urbains déclarent ressentir de l’anxiété liée à leurs trajets, contre 30 % des ruraux. La fatigue générale, la charge mentale et le sentiment d’assignation en résidence sont également plus marqués dans les grandes agglomérations. « On aurait pu penser l’inverse, les ruraux parcourant davantage de kilomètres. Mais c’est bien le temps passé, souvent dans des conditions dégradées, qui fait la différence », souligne Victor Delage. La congestion, les retards, la promiscuité dans les transports collectifs urbains sont autant de facteurs qui nourrissent un sentiment de saturation psychique. 

Repenser la mobilité comme levier de bien-être 

L’étude ne se limite pas à dresser un tableau inquiétant. Elle identifie aussi des pistes concrètes pour améliorer la qualité de vie mentale des usagers. En premier lieu : l’intermodalité, c’est-à-dire la combinaison de transports collectifs avec des modes actifs comme la marche ou le vélo. Trois quarts des usagers réguliers de cette intermodalité affirment qu’elle a un effet positif sur leur santé mentale et physique. Problème : cette pratique reste très minoritaire. Seuls 22 % des usagers des transports collectifs y ont recours au quotidien. L’une des raisons tient à la faible adaptation des infrastructures à ces usages mixtes. « Il y a un manque de vision, un manque de moyens, et une vraie difficulté d’acculturation », estime Victor Delage. L’aménagement du territoire, historiquement centré sur la voiture, freine cette évolution, alors même que les bénéfices sont tangibles. 

À travers cette étude, les auteurs posent une question simple mais fondamentale : et si nos déplacements n’étaient pas qu’une affaire de logistique, mais de santé publique ? En rendant les trajets plus apaisés, mieux pensés, plus sûrs, la mobilité peut redevenir un espace de respiration et de liberté. Encore faut-il cesser d’en faire une routine automatique et invisible. « On a tous intégré cette fatigue comme une routine. Mais ce n’est pas normal », insiste Victor Delage. Loin d’un luxe, la prise en compte de la santé mentale dans les politiques de mobilité apparaît désormais comme une nécessité. 

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