Interview de Donato Severo : Que faire des anciens hôpitaux, ces bâtiments imposants, chargés d’histoire ? Ils posent un défi aux villes.
Publié le 28.10.25 - Temps de lecture : 3 minutes

Reconversion d’un hôpital : quelles clés de réussite ?

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Que faire des anciens hôpitaux qui ponctuent encore le tissu urbain ? Ces bâtiments imposants, chargés d’histoire, posent un défi aux villes. Comment les reconvertir sans renier leur passé ? Rencontre avec Donato Severo, architecte et historien, Professeur émérite à l’Ecole nationale supérieure d’architecture – Paris, Val de Seine et spécialiste de l’architecture hospitalière.

À RETENIR

  • Les anciens hôpitaux, fortement ancrés dans le tissu urbain et porteurs d’une histoire sociale et architecturale, doivent être reconvertis en préservant leur lien avec la santé et la solidarité.
  • La complexité des reconversions dépend fortement de la typologie et de la structure des bâtiments, certains, comme ceux des Trente Glorieuses, étant particulièrement rigides et difficiles à adapter.
  • Toute reconversion doit débuter par une analyse approfondie des valeurs architecturales, sociales et sanitaires du site, avant toute considération économique ou programmatique.
  • Les usages futurs doivent être mixtes, adaptés au lieu et inclure obligatoirement des fonctions de santé pour éviter d’aggraver les déserts médicaux et préserver une capacité de réponse en cas de crise.

Pourquoi faut-il s’intéresser aujourd’hui à la reconversion des anciens hôpitaux ?

Donato Severo : Parce que ce sont des lieux absolument singuliers. Ce ne sont pas des bâtiments comme les autres : ce sont des enclos complexes, techniques, scientifiques, sociaux, très liés aux besoins de à la population. Ils concentrent des fonctions multiples : soigner, diagnostiquer, enseigner, rechercher, héberger dans un même lieu. Enfin, historiquement, ils sont au cœur de la ville, ils sont le symbole de la solidarité sociale depuis des siècles. À la Renaissance déjà, les hôpitaux intègrent parfaitement le soin, l’assistance, le commerce, le travail artistique et manifestent par ces biais la puissance de la ville. Et encore aujourd’hui, ce sont souvent les premiers employeurs d’une ville. Ils imprègnent leur quartier, leur territoire. C’est pourquoi leur reconversion ne peut pas être pensée uniquement comme une opération immobilière.

Qu’est-ce qui rend ces reconversions si complexes ?

Donato Severo : D’abord, il faut distinguer les typologies : les hôtels-Dieu, les hôpitaux pavillonnaires du XIXe siècle, les hôpitaux verticaux ou encore les hôpitaux-blocs du XXe siècle et enfin les hôpitaux compacts avec patios d’aujourd’hui. Tous ne posent pas les mêmes problèmes. Les plus difficiles à transformer sont ceux des Trente Glorieuses notamment, conçus selon des modèles standardisés comme Fontenoy et Duquesne. Ils ont été construits avec un système constructif de préfabrication lourde, très rigide et une attention limitée à la qualité des espaces et à la lumière. Ces architectures-là sont extrêmement difficiles à adapter. À l’inverse, certains hôpitaux plus anciens offrent davantage de flexibilité. Par exemple, l’hôpital Beaujon, construit dans les années 30, repose sur une structure poteau-poutre, donc bien plus facilement adaptable. Mais ce n’est pas le cas de la tour de l’hôpital Bichat-Claude Bernard construit en 1980, avec son exo structure et ses plaques préfabriquées : dans ce cas la transformation sera beaucoup plus difficile.

Alors comment savoir si un hôpital peut être réhabilité ou s’il faut le transformer complètement ?

Donato Severo : Il y a une étape essentielle, souvent négligée : l’analyse des valeurs. Avant même de penser aux coûts, aux programmes, il faut comprendre ce que le lieu contient : ses valeurs architecturales, historiques, sanitaires, sociales, artistiques parfois. C’est ce qu’on fait dans la Chaire que je dirige, « Archidessa , Architecture, Design, Santé », à travers des expertises plus ou moins longues de quelques mois à plusieurs années. Nous avons étudié des sites comme l’hôpital Raymond Poincaré à Garches, Verdier à Bondy, Bichat – Claude-Bernard à Paris XVIIIe, Beaujon à Clichy, ou l’hôpital de Moisselle, l’Hôtel-Dieu de Nantes, ou encore l’hôpital psychiatrique Ville-Évrard à Neuilly-sur-Marne. Il faut aussi étudier le potentiel de transformation : la souplesse du système constructif, l’état des plateaux techniques, le degré d’obsolescence. S’ils sont trop rigides ou dépassés, la reconversion est très compliquée, voire impossible sans interventions lourdes.


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Et une fois cette analyse faite, quels types d’usages peuvent être envisagés ?

Donato Severo : Il faut penser des programmes mixtes, adaptés aux spécificités de chaque site. La partie hôtelière – c’est-à-dire les chambres, les unités de soin – peut accueillir du logement, mais à deux conditions : garantir la mixité sociale et générationnelle, et créer un habitat avec les services nécessaires. Il ne s’agit pas de transformer mécaniquement des chambres d’hôpital en appartements. Il faut un vrai projet de vie. Mais on peut aller bien au-delà : bibliothèques, centres de recherche, équipements culturels, archives, équipements sportifs, fermes urbaines, data centers, instituts de formation, habitats intergénérationnels, etc. À l’École Nationale Supérieure d’Architecture Paris-Val-de-Seine, nous avons testé plus d’une centaine de projets de transformation ou de reconversion sur différents sites. Il existe une diversité étonnante de situations. La clé, c’est d’adapter les programmes à la mémoire, à la structure et aux capacités du lieu. Mais surtout et, c’est fondamental, il faut préserver une partie des lieux à des programmes de santé. Pas nécessairement un hôpital, mais des fonctions liées au soin : réhabilitation – respiratoire, cognitive, oncologique, motrice, etc. – rééducation post-opératoire, rééducation neuromotrice, prévention, soins infirmiers, hôtels hospitaliers, centres de santé intégrés à la ville, etc. Il faut éviter d’alimenter les déserts médicaux en effaçant complètement ces fonctions.

Avez-vous des exemples de reconversions que vous jugez emblématiques ?

Donato Severo : Oui, il y en a quelques-uns. Le sanatorium de Clermont-Ferrand, par exemple, transformé en école d’architecture par Dominique Lyon : une belle reconversion, respectueuse du site. L’hôpital Xeral en Espagne, un hôpital vertical de 1946 transformé en cité de la justice, montre qu’on peut réinventer un lieu tout en valorisant son architecture monumentale. Autre exemple en France, le projet de reconversion de l’Hôtel-Dieu de Lyon a réussi à mêler plusieurs fonctions et à s’ouvrir à la ville. Mais attention : la plupart des hôpitaux du XXe siècle, notamment ceux construits dans la deuxième partie du XXe siècle, n’ont pas encore connu leur véritable transformation. Ce processus est à peine amorcé. Et le risque est grand de voir ces bâtiments qui pourraient rester des réserves urbaines pour de futurs besoins sanitaires transformés trop vite en hôtels de luxe ou bureaux privés. Ce serait une erreur. On l’a vu avec le Covid : ces lieux peuvent redevenir essentiels en cas de crise. Il faut les penser comme des espaces partagés, ouverts à la ville, porteurs de mémoire, de solidarité et de santé.

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