Sécheresses : interview d'Hélène Arambourou, adjointe au directeur du département développement durable et numérique au sein de France Stratégie.
Publié le 03.07.25 - Temps de lecture : 3 minutes

« En 2050, la demande en eau pourrait doubler dans certaines régions » Hélène Arambourou

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Face à l’urgence climatique, France Stratégie publie une étude inédite sur l’évolution de la demande en eau à l’horizon 2050. Entretien avec Hélène Arambourou, adjointe au directeur du département développement durable et numérique au sein de France Stratégie et coautrice de ce rapport. 

À RETENIR 

  •  France Stratégie anticipe une forte augmentation de la demande en eau d’ici 2050, notamment dans le secteur agricole, avec un risque de doublement des besoins en irrigation selon les scénarios envisagés. 
  • Trois scénarios prospectifs ont été élaborés, du statu quo à un modèle de sobriété, révélant des écarts significatifs selon les choix politiques et sociétaux. 
  • En année sèche, jusqu’à 90 % du territoire pourrait être soumis à un stress hydrique, le Sud-Ouest apparaissant comme la région la plus exposée. 
  • Les collectivités territoriales sont en première ligne pour adapter la gestion de l’eau, via des politiques tarifaires, la lutte contre les fuites, la réutilisation des eaux usées et l’aménagement du territoire 

Dans un contexte de pressions accrues sur la ressource en eau, Hélène Arambourou et Simon Fermière ont réalisé pour France Stratégie ce rapport prospectif inédit sur l’évolution de la demande à l’horizon 2050. Commandée par Élisabeth Borne après une année 2022 marquée par des pénuries massives, cette étude s’est déclinée en deux volets : une première note publiée en janvier 2025, consacrée aux dynamiques de demande en eau, et un second rapport diffusé en juin dernier, qui confronte ces projections aux ressources potentiellement disponibles dans les cours d’eau en 2050. Ensemble, ils dressent un état des lieux des tensions à venir dans les territoires, sous l’effet du changement climatique.  

Une étude pour anticiper le futur de l’eau en France 

C’est à la demande d’Élisabeth Borne, alors Première ministre, que France Stratégie a lancé à l’automne 2023 un travail de fond sur les usages de l’eau à l’horizon 2050. L’objectif : tirer les leçons de l’année 2022, où près de 1 000 communes françaises ont connu des ruptures d’approvisionnement. « L’idée était de savoir si ce que nous avons vécu en 2022 pourrait devenir une année ordinaire en 2050 », résume Hélène Arambourou. L’équipe a développé une approche territorialisée, en analysant les prélèvements et consommations d’eau à l’échelle des 40 bassins versants de l’hexagone, mois par mois, pour refléter les tensions saisonnières. Une méthode inédite à cette échelle. 

Trois scénarios pour 2050 

Le rapport repose sur trois trajectoires possibles. Le premier est un scénario tendanciel, dans lequel rien ne change : les usages actuels sont simplement prolongés. Le deuxième intègre les ambitions des politiques publiques – relance du nucléaire, réindustrialisation, transition énergétique. Enfin, un scénario dit de rupture imagine une société profondément sobre, inspirée de travaux de l’ADEME. « On parle ici d’une société qui consomme peu, se déplace moins, et donc utilise beaucoup moins d’eau », détaille Hélène Arambourou. Les écarts sont majeurs : dans le scénario tendanciel, la demande en eau pour l’irrigation agricole pourrait par exemple plus que doubler d’ici 2050. 

Des chiffres qui interpellent 

 Le rapport met en lumière un contraste fort entre usages. « Près de 50 % des prélèvements servent à refroidir les centrales nucléaires, mais plus de 60 % de la consommation réelle provient de l’irrigation agricole. » Ce déséquilibre souligne la vulnérabilité du modèle agricole actuel, surtout dans un contexte climatique tendu. Autre donnée frappante : en 2050, pour une année sèche, près de 90 % du territoire français pourrait être en situation de stress hydrique et donc subir potentiellement des restrictions d’eau, si l’on applique les règles actuelles. 


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Le Sud-Ouest, épicentre des tensions à venir 

Si toutes les régions seront affectées, certaines sont particulièrement concernées. Le Sud-Ouest concentre les risques : précipitations en baisse, températures en hausse, et une agriculture irriguée très dépendante de la ressource. « Si on veut maintenir les rendements du maïs, il faudra doubler les volumes d’eau par hectare. Ce ne sera pas tenable », alerte Hélène Arambourou. À cela s’ajoute la pression sur les écosystèmes aquatiques, déjà en tension, et dont la résilience dépendra largement de la manière dont les milieux seront protégés ou restaurés. 

Les collectivités au cœur de la réponse 

Les leviers d’action sont nombreux à l’échelle locale, et les collectivités territoriales en détiennent une grande partie. « Responsables de l’eau potable et de l’assainissement, les collectivités peuvent intervenir sur plusieurs fronts » rappelle Hélène Arambourou. Certaines investissent dans la réduction des fuites sur les réseaux, notamment dans les zones les plus tendues. D’autres, comme la métropole de Toulouse, innovent en adoptant une tarification saisonnière, avec un prix plus élevé en été pour encourager la sobriété. À Lyon, la tarification devient environnementale, avec des premiers mètres cubes à prix modéré et un tarif qui augmente au-delà d’un certain seuil – visant à limiter les usages dits « de confort » comme le remplissage des piscines ou le lavage des voitures. « Les collectivités peuvent aussi agir sur les bâtiments publics, en développant par exemple des systèmes de réutilisation de l’eau, ou des dispositifs plus innovants comme les toilettes sèches ou celles à séparation d’urine, notamment dans les écoles » détaille Hélène Arambourou.  

Au-delà de la gestion directe de l’eau, elles ont aussi un rôle majeur à jouer en matière d’urbanisme. En réduisant l’imperméabilisation des sols, elles favorisent l’infiltration de l’eau de pluie et le rechargement des nappes. Enfin, grâce à la compétence GEMAPI (Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations), elles peuvent restaurer les écosystèmes dégradés : reméandrer les cours d’eau, replanter des forêts rivulaires… « autant d’actions qui améliorent la résilience des milieux face aux chocs climatiques » conclu Hélène Arambourou. 

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Envies de ville, plateforme de solutions pour nos territoires, propose aux collectivités et à tous les acteurs de la ville des réponses concrètes et inspirantes, à la fois durables, responsables et à l’écoute de l’ensemble des citoyens. Chaque semaine, Envies de ville donne la parole à des experts, rencontre des élus et décideurs du territoire autour des enjeux clés liés à l’aménagement et à l’avenir de la ville, afin d’offrir des solutions à tous ceux qui “font” l’espace urbain : décideurs politiques, urbanistes, étudiant, citoyens…

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