Reut des eaux usées traitées : en matière d’irrigation agricole, cette solution locale semble idéale pour faire fasse aux sécheresses.
Publié le 28.03.24 - Temps de lecture : 4 minutes

La « Réut » des eaux usées : une solution pour l’irrigation agricole face aux sécheresses ?

Dans le contexte de changement climatique, la préservation des ressources en eau devient une priorité pour lutter contre le stress hydrique. En matière d’irrigation agricole, la réutilisation des eaux usées traitées apparaît comme une solution locale idéale pour soulager les pressions sur la ressource. Cependant, de vraies mesures de sobriété devront lui être associées. Dans son rapport annuel publié en mars 2024, consacré à l’adaptation au réchauffement climatique, la Cour des comptes a rappelé les vulnérabilités des filières agricoles et souligné les tensions à venir sur leurs rendements et sur le partage de la ressource en eau.

Paru au Journal officiel le 28 décembre 2023, un arrêté a clarifié les modalités de production et d’utilisation des eaux usées traitées pour l’irrigation de cultures. Le 23 août 2023, un premier arrêté avait déjà simplifié les procédures de réutilisation des eaux usées traitées en introduisant la méthode de la « Réut », qui consiste à utiliser l’eau provenant des stations d’épuration après traitement, au lieu de la rejeter directement dans l’environnement naturel, comme c’est le cas actuellement.

Objectif : faciliter l’utilisation des eaux usées urbaines traitées pour irriguer les cultures

Après l’épisode de sécheresse de l’été 2022 et son cortège de restrictions, le président de la République a présenté un « Plan Eau » en mars 2023. Ce plan prévoit de lever « les freins réglementaires à la valorisation des eaux non conventionnelles », avec l’objectif de passer de 1 % à un seuil de 10 % de réutilisation des eaux usées traitées d’ici à 2030. Les conditions pour réutiliser nos eaux usées exprimées dans l’arrêté de décembre établissent les seuils de qualité des eaux nécessaires aux projets de Réut en fonction des usages et des cultures. Ces textes autorisent également l’utilisation d’une qualité d’eau moindre, à condition que des mesures supplémentaires de sécurité soient mises en place, comme le lavage des denrées à l’eau potable avant la vente. En revanche, la Réut est interdite sur les terrains saturés, à l’intérieur des périmètres de captage d’eau potable et dans des zones sensibles définies par les autorités locales.

La Réut : une pratique marginale de plus en plus employée en France

Depuis une dizaine d’années, de plus en plus de projets de Réut sont entrepris un peu partout en France, notamment dans le sud ou en Vendée. La pratique reste pourtant marginale puisque le Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement) recensait 128 cas en 2017, dont 63 seulement en fonctionnement sur près de 20.000 stations d’épuration en France. Soit moins de 1 % du volume d’eau traitée à l’échelle nationale, contre 14 % en Espagne et 80 % en Israël.

« Si on a si peu développé ces dispositifs, c’est tout simplement parce qu’on ne manquait pas suffisamment d’eau. Jusqu’à maintenant, la pluviométrie permettait de subvenir à tous les besoins », explique Nicolas Roche, professeur à l’Université d’Aix-Marseille et spécialiste des problématiques de l’eau. « De nouveaux conflits d’usage font de la réutilisation des eaux usées une alternative intéressante, à la seule condition qu’elle soit accompagnée « d’une étude approfondie de la qualité sanitaire et chimique de l’eau, d’un suivi régulier et de la concertation avec tous les acteurs impliqués » conclut-il.

La réutilisation des eaux usées est particulièrement intéressante pour les usages urbains (nettoyage de voiries ou de canalisations, arrosage des parcs et des jardins) où l’eau potable n’est pas nécessaire. En agriculture, elle permet à la fois de moins prélever d’eau tout en utilisant moins d’engrais. Selon un état des lieux réalisé par le Cerema en 2020, il apparaît que l’eau usée traitée est plus riche en éléments nutritifs que l’eau brute généralement utilisée. La Réut s’apparente alors à une fertigation, une technique d’irrigation contenant des fertilisants solubles.

Il faut néanmoins s’adapter aux différentes zones géographiques pour la réutilisation. En zone littorale, réutiliser ne soulève aucun problème puisque les stations d’épuration rejettent l’eau quasiment directement à la mer. Cette pratique contribue à la diminution des prélèvements dans les nappes tout en limitant la perte d’eau douce : les impacts environnementaux sont alors moins importants. À l’intérieur des terres, l’eau qui sort des stations d’épuration est réinjectée dans les milieux naturels comme les fleuves ou les rivières, participant ainsi à leur équilibre et à la bonne santé des écosystèmes qui en dépendent.

Une solution pertinente qui ne doit pas empêcher d’aller vers plus de sobriété

Selon le Cerema, la Réut ne doit jamais être une excuse pour se dispenser d’efforts : « Il reste préférable de travailler à identifier les causes des déficits et d’infléchir la demande en eau par des mesures d’économie d’eau, avant de rechercher des solutions telle que la Réut pour pallier les manques chroniques ». Une idée qui ne coule pas de source puisque selon une étude du Centre de l’information sur l’eau (Cieau), 67 % des Français jugent nécessaire d’investir dans des technologies permettant de conserver le même confort d’usage de l’eau. Cette méthode ne devra pas être utilisée comme prétexte par les irrigants pour maintenir le modèle agricole intensif selon plusieurs associations écologistes, qui pointent également du doigt certains projets de Réut dont l’objectif serait plutôt green que vert, puisque 26 % des projets en 2017 étaient destinés à l’arrosage de terrains… de golf.

Comme Jonathan Schuite, Docteur en Sciences de la Terre et hydrologue, l’explique, il faudra également faire attention à l’effet rebond que la réussite de ces projets pourrait susciter : « l’effet rebond, ou paradoxe de Jevons, est un mécanisme pernicieux par lequel un gain d’efficacité octroyé par le déploiement d’une technologie, ou d’un procédé, est rapidement compensé par une adaptation des comportements, qui pousse, in fine, à une utilisation plus accrue des ressources ».


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La priorité n’est pas de consommer autrement mais de consommer moins.

En réalité, il est nécessaire d’anticiper et de maîtriser cet effet rebond, et de veiller à ce que le développement de cette ressource alternative ne puisse avoir pour conséquences l’apparition de nouveaux usages consommateurs. Sans occulter les marges de manœuvres fondamentales de sobriété hydrique, ni oublier que la priorité n’est pas de changer son mode de consommation d’eau mais de consommer moins d’eau.

Quand on sait qu’en France, les céréales, particulièrement gourmandes en eau, occupent la moitié des surfaces de culture irriguées, qui elles-mêmes représentent 6,8 % de la surface agricole totale, on mesure l’enjeu. Dans leur rapport, les magistrats de la Cour des comptes soulignent d’ailleurs qu’en période estivale l’usage agricole représente plus de 90 % de l’eau consommée sur certains bassins, ce qui contribue à augmenter les conflits d’usage. Leur conclusion invite à des transformations en profondeur nécessaires et indispensables pour que l’agriculture puisse s’adapter au dérèglement climatique. Les défis sont considérables et ont des conséquence multiples, notamment sur la souveraineté alimentaire de la France : comment préserver les rendements de cultures dépendantes de l’irrigation alors que la ressource en eau se raréfie ? Comment protéger la fertilité des sols dans un contexte où les aléas climatiques se multiplient ?

Si la réutilisation des eaux usées pour l’irrigation des cultures se place, aujourd’hui, comme une des solutions possibles pour répondre aux enjeux de tarissement de la ressource en eau avec des bénéfices non négligeables (diminution de la pression sur certaines ressources, pérennisation de l’agriculture, maintien d’une filière économique dans un territoire), des interrogations subsistent quant aux risques de surcoûts, de sur-dépendances énergétiques du monde agricole, ou des risques sanitaires (résidus de métaux lourds et de produits pharmaceutiques notamment). Autant de questions qui posent celle de la durabilité de cette solution.

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