Interview de Alain Resplandy-Bernard : vue de la cité de Toulouse
Publié le 18.09.25 - Temps de lecture : 4 minutes

Alain Resplandy-Bernard : « Le patrimoine de l’État est un levier puissant de transition pour les territoires »

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Alors que l’État engage une profonde transformation de son patrimoine immobilier, Alain Resplandy-Bernard, ancien directeur de la Direction de l’immobilier de l’État (DIE), détaille une stratégie qui allie réduction des surfaces, performance énergétique et nouveaux usages des bureaux.  Un modèle dont les collectivités locales peuvent s’inspirer pour répondre à leurs propres défis fonciers et organisationnels. L’entretien a été réalisé en août dernier, alors qu’il occupait encore ses fonctions à la tête de la DIE.  

À RETENIR 

  • L’État vise une réduction de 5 millions de m² de bureaux en dix ans, afin de répondre à des impératifs budgétaires, écologiques (neutralité carbone 2050) et organisationnels liés à l’évolution du travail. 
  • La transformation du parc immobilier permet de rénover les bâtiments conservés, libérer du foncier pour des usages variés (logement, commerces, logistique) et lutter contre l’artificialisation des sols. 
  • Les collectivités locales sont étroitement associées au processus : elles bénéficient d’un droit de priorité sur les cessions et participent à la redéfinition des usages via des projets mixtes à forte valeur urbaine. 
  • Des projets expérimentaux de nouveaux espaces de travail ont été déployés, accompagnés d’un guide méthodologique, avec pour objectif une meilleure adéquation aux besoins métiers, une réduction du cloisonnement et une valorisation du collectif. 

 

Pourquoi l’État s’est-il lancé dans une réduction massive de ses surfaces de bureaux ?

Alain Resplandy-Bernard : Parce que c’est à la fois une nécessité budgétaire, écologique, et une réponse à l’évolution des modes de travail. L’État occupe aujourd’hui environ 97 millions de m², pour un coût de 11 milliards d’euros par an et des émissions de 2,6 millions de tonnes de CO₂. Ce patrimoine est donc un levier puissant de transition pour les territoires. Nous sommes tenus par des objectifs ambitieux : le décret tertiaire, bien sûr, mais aussi des directives européennes qui nous imposent une réduction de 1,9 % des émissions chaque année et la rénovation de 3 % des surfaces. Si nous respectons cela, nous serons conformes aux objectifs de neutralité carbone à horizon 2050.

L’État vise à réduire son emprise immobilière de 5 millions de m². 

Vous parlez de réduire le parc. À quelle échelle ?

Alain Resplandy-Bernard : L’État vise à réduire son emprise immobilière de 25 % en dix ans, soit 5 millions de m². C’est possible, car notre parc tertiaire est largement surdimensionné : on est encore à 25 m² par agent, contre un objectif de 16 m². Dans le privé, on est souvent entre 12 et 14 m², parfois même en-dessous de 10. Cette réduction permet à la fois d’investir dans les bâtiments conservés – pour les rénover et les décarboner – et de libérer du foncier utile pour d’autres projets. 

Ces bâtiments libérés peuvent-ils être facilement réutilisés ?

Alain Resplandy-Bernard : Oui, car ils sont déjà artificialisés. C’est une aubaine dans le cadre des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols. Tous ne redeviendront pas des bureaux : ils peuvent accueillir du logement, des activités économiques, des commerces, de la logistique de dernier kilomètre… C’est aussi un outil au service des collectivités. 

Une aubaine dans le cadre des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols.

Justement, quel est le rôle des collectivités dans ce processus ?

Alain Resplandy-Bernard : Quand un bâtiment devient inutile à une administration, on vérifie en premier lieu s’il peut servir à une autre administration ou politique publique. Si ce n’est pas le cas, il est cédé ou loué. Les collectivités ont un droit de priorité sur toutes les cessions. En 2023, un tiers des ventes ont donné lieu à l’exercice de ce droit. Et 40 % des biens vendus restent dans la sphère publique. Mais même sans cela, tout projet est discuté avec les élus : leur acceptabilité est indispensable. On regarde bien sûr le prix, mais aussi la conformité au PLU et l’insertion dans le projet urbain. 

Quels types de projets préfèrent les collectivités ?

Alain Resplandy-Bernard : Les projets monofonctionnels sont de plus en plus rares. On privilégie la mixité d’usages. À Toulouse, nous avons cédé l’ancienne cité administrative : un bâtiment a été conservé pour du logement étudiant via le CROUS, le reste accueillera des logements, des commerces et du tertiaire. À Aix-Marseille, nous avons vendu un bien pour y installer sur le site universitaire de Luminy des biotech et d’autres terrains pour étendre le tramway. À Saint-Raphaël, c’est un ancien centre de vacances du ministère des Finances, remarquable architecturalement, qui a été repris par la commune. Le but est souvent de maîtriser le devenir urbain de ces sites. Notre dialogue avec les collectivités est permanent. Nous veillons à une valorisation juste, tout en favorisant des mécanismes de co-bénéfice. Par exemple, on inclut souvent des clauses de complément de prix : si la collectivité génère plus de valeur que prévu, elle reverse une part à l’État. Cela aligne les intérêts. 

 En 2023, un tiers des ventes ont donné lieu à l’exercice du droit de priorité des collectivités. 

Qu’en est-il des projets de réaménagement des bureaux des services de l’État ? En quoi sont-ils des démonstrateurs des nouveaux usages ? 

Alain Resplandy-Bernard : Nous avons lancé deux appels à projets sur les nouveaux espaces de travail. 87 projets expérimentaux ont été financés dans toute la France : flex office, espaces collaboratifs, lieux de concentration… On part des besoins métiers, pas du statut. Il ne s’agit plus de donner un bureau selon son grade, mais un cadre adapté à son travail. Et on associe les équipes : le moment-clé, c’est le microzoning, quand chacun peut se projeter concrètement grâce à des plans 3D, des maquettes… Cela fait tomber beaucoup de résistances. Le bon modèle, c’est un territoire par collectif – 20 à 30 agents – bien équipé, adaptable, où chacun sait « où il habite » même s’il n’a pas de poste fixe. Le cloisonnement excessif nuit à la collaboration. Et le télétravail, qui s’est beaucoup développé depuis 2020 dans le public, accentue l’enjeu du collectif : il faut que les lieux de travail soient faits pour se retrouver, échanger. 


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Y a-t-il un appui méthodologique pour aider à concevoir ces nouveaux espaces ?

Alain Resplandy-Bernard : Oui. Nous avons publié un guide méthodologique en ligne à destination des chefs de projet et des managers, utilisable par tous, y compris les collectivités locales. Il explique comment construire un questionnaire sur les besoins, comment piloter la conduite du changement, etc. Il est même repris par des cabinets privés. C’est un outil précieux. 

Pouvez-vous nous citer quelques exemples de projets récents ?

Alain Resplandy-Bernard : À Lille, la cité Marianne, un bâtiment neuf, aujourd’hui le plus grand labellisé Passive House tertiaire d’Europe. A Toulouse, la réhabilitation d’un ancien bâtiment Art déco, jadis conçu comme école vétérinaire, devenu caserne, aujourd’hui cité administrative. On y a ajouté des bâtiments modernes, bien intégrés, et abandonné d’autres sites pour densifier. À Nanterre, on rénove un immeuble de grande hauteur des années 1970 classé monument historique. On construit en parallèle un nouveau bâtiment pour les services recevant du public, ce qui nous libère des contraintes ERP pour la tour. On gagne en sécurité, en performance énergétique, et on densifie. On y logera 2 000 agents supplémentaires. 

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Envies de ville, plateforme de solutions pour nos territoires, propose aux collectivités et à tous les acteurs de la ville des réponses concrètes et inspirantes, à la fois durables, responsables et à l’écoute de l’ensemble des citoyens. Chaque semaine, Envies de ville donne la parole à des experts, rencontre des élus et décideurs du territoire autour des enjeux clés liés à l’aménagement et à l’avenir de la ville, afin d’offrir des solutions à tous ceux qui “font” l’espace urbain : décideurs politiques, urbanistes, étudiant, citoyens…

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