
IA dans les communes : comment les élus l’utilisent pour améliorer les services publics
Des villes comme Cannes, Nantes ou Plaisir expérimentent l’intelligence artificielle dans les collectivités, avec des premiers retours d’usage concrets. Du bot conversationnel à l’analyse automatisée des marchés publics, les outils IA collectivités locales s’invitent dans la gestion municipale.
À RETENIR
- De nombreuses communes, grandes ou petites, expérimentent l’IA pour améliorer les services publics : bots pour l’accueil téléphonique, prévisions de repas, lutte contre les fuites d’eau ou tri automatisé des dossiers.
- L’IA transforme les tâches internes des agents municipaux, comme à Cannes ou Saulon-La-Chapelle, en automatisant rédaction, traduction, veille juridique ou gestion documentaire.
- Les élus soulignent un besoin urgent de formation et d’appropriation politique des outils d’IA, afin d’éviter une fracture territoriale entre métropoles et petites communes.
- Le rapport du Sénat appelle à encadrer l’usage de l’IA dans les collectivités via la formation, la mutualisation des ressources et la création de garde-fous éthiques et souverains.
Pas besoin d’être une smart city pour adopter l’IA. Même les petites communes s’y mettent. Des maires de communes de toutes tailles s’intéressent au potentiel de l’intelligence artificielle, trop souvent perçue comme réservée aux grandes entreprises ou aux capitales mondiales de l’innovation. Ils ne s’y intéressent pas pour suivre une mode, mais pour répondre à des enjeux très concrets : mieux informer les habitants, améliorer l’accès aux droits, réduire les délais de traitement, fiabiliser les procédures, rationaliser les dépenses publiques. Un maire sur deux se dit aujourd’hui concerné par le sujet. Et selon une étude Public First, 53 % des agents du service public déclarent déjà utiliser des outils d’IA, dont 15 % quotidiennement.
L’IA au service de l’expérience citoyenne
Dans la commune de Plaisir (Yvelines), les usagers de la mairie n’attendent plus de longues minutes au téléphone. Depuis 2022, un bot conversationnel nommé « Optimus » prend les appels entrants. Avec une voix humaine, il guide les habitants vers les bons interlocuteurs. Résultat : le taux de perte d’appels est passé de 65 % à 8 %. Khaled Belbachir, directeur des relations citoyennes, y voit une avancée majeure. « Avant Optimus, et malgré nos deux standardistes aguerries, on perdait plus de la moitié des appels ». Aujourd’hui, la ville est capable de mieux orienter, de prioriser les urgences, et surtout de traiter plus rapidement les demandes.
Direction Nantes, où l’intelligence artificielle est utilisée pour prévoir les besoins alimentaires dans les cantines scolaires. En affinant les estimations de fréquentation des repas, la métropole a réduit le gaspillage de plusieurs milliers de repas par an. Une démarche à la fois économique et écologique, qui améliore aussi la qualité du service : « Sur un an, c’est au total l’équivalent de plusieurs milliers de repas qui sont économisés », indique la capitale ligérienne.
Marseille mise, elle, sur la valorisation du commerce de proximité. « Les principaux bénéfices de l’IA que je remarque pour les commerçants marseillais, c’est le gain de temps qui leur permet de se concentrer davantage la vente et de gagner en visibilité et surtout de gagner de nouveaux clients », observe Camélia Charlotte Makhloufi, conseillère municipale.
Des outils d’IA au cœur de la gestion municipale
Mais l’impact de l’intelligence artificielle ne se limite pas à la relation avec le public. Elle est en train de transformer le travail des agents dans de nombreux domaines. À Cannes, la mairie a lancé en septembre 2024 une vaste expérimentation avec plusieurs logiciels d’IA générative : Claranet, Prisme AI, MA-IA, Wikit Google, Lex IA. Objectif : alléger le travail administratif. Onze cas d’usage ont été identifiés : rédaction de délibérations, analyse d’offres de marchés publics, traduction de documents, retranscription de réunions, veille juridique.
Il s’agit de réduire le temps consacré aux tâches répétitives et chronophages, pour gagner en qualité de service public, explique la ville. « L’IA est une opportunité et, aujourd’hui, une nécessité pour optimiser la gestion des collectivités publiques d’un point de vue financier, écologique et managérial » défend David Lisnard, maire de Cannes et président de l’Association des maires de France.
Même dans des communes rurales, les élus s’emparent de ces technologies. Pascal Bortot, maire de Saulon-La-Chapelle (Côte-d’Or), observe un changement de culture : « L’IA est un outil que l’on commence à mettre en place au niveau de nos collectivités, pour l’instant on en est au début. Cela peut concerner la rédaction de comptes rendus, la collecte d’informations, cela peut être également pour la mise en valeur des photos que l’on a au niveau de nos communes. » Un exemple parmi d’autres d’une IA au service des besoins simples, mais concrets, du terrain.
À Saint-Savin, une commune de 4175 habitants en Isère, l’IA est utilisée pour lutter contre les fuites d’eau, grâce à un algorithme prédictif développé par Leakmited. À Est Ensemble, territoire de 440 000 habitants en Seine-Saint-Denis, un outil basé sur Azure OpenAI permet de trier et d’analyser automatiquement les dossiers d’appels d’offres. Le temps de traitement a chuté de 30 %.
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Les élus face à un nouvel impératif de compétence
Ces usages, longtemps portés par des directions techniques ou des cabinets extérieurs, deviennent peu à peu des sujets politiques à part entière. À Bourg-en-Bresse, Jean-François Debat, maire et président délégué de Villes de France, insiste sur l’importance de la montée en compétence : « L’enjeu pour nous, c’est de connaître et d’apprendre l’outil. C’est l’objet d’une convention lancée avec Google, pour que les élus, les agents, les services puissent décider comment l’utiliser, quand l’utiliser. » Une posture pragmatique qui tranche avec les discours technosolutionnistes.
Même tonalité à Paris, où l’adjointe à la maire chargée du développement économique, Afaf El Kaoun-Gabelotaud, parle d’une « révolution de société ». « L’IA enrichit nos façons de consommer, de réfléchir, d’éduquer. Elle ouvre de nouvelles opportunités pour l’emploi local grâce à des algorithmes de matching entre candidats et offres. »
Mais cette appropriation suppose un accompagnement. Le rapport d’information du Sénat rendu en mars par Pascale Gruny (LR) et Ghislaine Senée (Les Écologistes) alerte sur le risque de fracture territoriale. Si les métropoles avancent vite, les petites collectivités manquent souvent de ressources, d’ingénierie, de données et de vision stratégique.
Mutualiser, former, encadrer
Pour éviter un énième décrochage numérique, les sénatrices formulent plusieurs recommandations : développer des formations publiques via le CNFPT, créer des comités territoriaux de la donnée, bâtir une bibliothèque nationale des cas d’usage. L’idée : favoriser une culture publique de l’IA, et limiter la dépendance aux géants du numérique.
L’enjeu est également citoyen. Certaines collectivités, comme Montpellier, ont mis en place des conventions citoyennes sur l’IA pour écouter les attentes et les craintes des habitants. Protéger les données personnelles, éviter la déshumanisation du service, prévenir les biais algorithmiques : autant de points cruciaux pour garantir une adoption durable et éthique.
IA prédictive, cybersécurité et souveraineté
Mais tout cela pose aussi la question de la souveraineté. « Sécurité des données, souveraineté et dépendance à l’égard de forces étrangères sont des enjeux sur lesquels il est indispensable de travailler », insiste Pascale Gruny. En matière d’intégration des nouvelles technologies comme de politiques publiques, loin des algorithmes, c’est encore la volonté politique qui fera la différence dans les territoires.