Portrait d'Emmanuelle Cosse, Présidente de l’Union Sociale pour l’Habitat. ©Marwen Farhat USH.
Publié le 19.10.23 - Temps de lecture : 5 minutes

Interview d’Emmanuelle Cosse « Les bons connaisseurs du secteur savent que pour réussir à sortir de la crise, il faut que tous les segments du logement soient remis en marche. »

En Bretagne ou au Pays basque, des mouvements citoyens ont vu le jour pour dénoncer la flambée des prix et la difficulté pour se loger, partout la sonnette d’alarme est tirée, partout la demande de logements sociaux explose. Avec 2,4 millions de personnes en attente de logements et 93.000 agréments, très loin de l’objectif des 250.000 nouveaux logements en deux ans visé par le gouvernement en 2021, il est plus qu’urgent de débloquer la situation pour redonner sa vocation au logement social.

À la sortie du Congrès Hlm, Emmanuelle Cosse, Présidente de l’Union Sociale pour l’Habitat a accepté de répondre à quelques-unes de nos questions. Tour d’horizon de la situation.

Un projet de loi logement issu des conclusions du CNR est en cours de préparation : qu’en attendez-vous, quelles sont les mesures qui permettraient d’améliorer la situation ?

Emmanuelle Cosse : La suspension de la Réduction de Loyer de Solidarité (RLS) peut-elle redonner aux organismes Hlm la capacité de retrouver des marges de manœuvre à mettre au service de la production ?

J’ai qualifié régulièrement la RLS de dispositif pervers et injuste. Il traduit une vision faible du logement social, conçu seulement comme contributeur net au budget de l’Etat. La RLS est le produit d’une idéologie qui considère que les bailleurs sont riches et que le logement coûte cher aux finances publiques pour ne pas produire beaucoup. La réalité, c’est qu’il n’y a pas de trésor caché des organismes de logement social et que nous réinvestissons nos marges dans la production et la rénovation.

Nos comptes sont contrôlés par l’ANCOLS. Nos encours sont connus par la Caisse des Dépôts et Consignation. La RLS est l’équivalent d’un prélèvement à la source dans notre chiffre d’affaires de 1,3 milliard chaque année. Il faut se souvenir par ailleurs qu’elle a été mise en œuvre dans un environnement économique sans inflation, avec un taux du Livret A à 0,5%. Il y a 5 ans, elle dégradait déjà les comptes des bailleurs. Aujourd’hui, elle les rend exsangues. Elle nous handicape pour poursuivre la transition écologique de notre parc et nous met dans l’incapacité de jouer le rôle contracyclique qui avait été attendu du mouvement Hlm en 2008. Résultat : la production est en berne.

L’obtention de subventions ou de dispositifs fiscaux pour les bailleurs sociaux serait-elle plus efficace que des prêts pour résorber leur dette et relancer l’investissement ?

Emmanuelle Cosse : Oui et non. Je vais vous dire pourquoi. Nous sommes des acteurs économiques responsables et des investisseurs habitués au long terme. Nous savons que nous travaillons pour plusieurs générations. Les prêts de la Caisse des Dépôts font partie du modèle français du logement social, qui a montré toute sa puissance et sa solidité en un siècle. Le logement social se construit sur des modèles économiques encadrés.

Nos ressources, ce sont les loyers Hlm qui sont versés et dont le montant est lui-même encadré par la loi. Ils permettent de rembourser des prêts à 40 ans et de réinvestir vers l’entretien, la rénovation, la production. Ces dernières années, la RLS, la hausse de la TVA, l’inflation sur les coûts de la construction ont mis à mal nos équilibres. L’engagement pour réaliser la transition écologique du parc social a accéléré la consommation de nos fonds propres.

Les projections de la Caisse des Dépôts montrent très clairement que si nous respectons les rendez-vous de la loi Climat et Résilience, nous ne pourrons pas produire plus de 66.000 logements chaque année avec l’état de nos fonds propres. Je fais cette grande explication pour que l’on comprenne bien que nous ne demandons pas l’obole quand nous réclamons des « fonds gratuits », autrement dit des subventions ou un abandon total ou partiel de fiscalité. Le Ministre Patrice Vergriete l’a lui-même indiqué. L’urgence est de reconstituer nos fonds propres et ce ne sont pas des prêts, même très concessifs, qui peuvent le faire. Nous avons besoin de subventions. Nous avons besoin de visibilité. Autrement dit, nous avons besoin de la pérennisation d’un Fonds National des Aides à la Pierre correctement financé.


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En zones tendues, le logement intermédiaire est-il un bon levier pour sortir de la crise ?

E.C. : Oui, pourquoi pas, mais je me méfie des martingales successives. Les bons connaisseurs du secteur savent que pour réussir à sortir de la crise, il faut que tous les segments du logement soient remis en marche. Le logement social, pour les plus précaires et les travailleurs de première ligne, jusqu’aux salariés au revenu médian. L’accession sociale, l’accession privé abordable. Le locatif privé qu’il faut relancer d’urgence car nous ne pourrons pas absorber les demandes insatisfaites de tous les ménages.

Et enfin bien entendu le logement intermédiaire qui doit jouer un rôle de soudure entre le social et le privé, en particulier dans les zones tendues, vous avez raison sur ce point. Le Mouvement Hlm n’est pas opposé au logement intermédiaire, bien au contraire dans certaines opérations et pour certains territoires il a toute sa place. Il ne faut simplement pas lui faire jouer un rôle qu’il ne peut pas tenir. 

Quelle place donner aux partenariats avec des acteurs privés ?

E.C. : Si vous pensez au recours à la VEFA, c’est un débat qui est derrière nous dans le Mouvement Hlm. La VEFA est pleinement partie prenante de l’offre nouvelle de logements sociaux, plus personne ne le conteste. La question n’est donc pas d’être pour ou contre la VEFA, mais de trouver des équilibres territoriaux et de regarder précisément ce qu’elle produit et ce qu’elle engage. Dans certaines régions où elle est majoritaire, c’est un symptôme de la difficulté des bailleurs sociaux à accéder au foncier. Ce n’est pas le signe d’une bonne santé du territoire. Dans d’autres au contraire, elle permet de créer des synergies, de trouver des programmes innovants, de regarder le peuplement des territoires avec pertinence. 

Comme l’ensemble de la promotion immobilière, le logement social est pris entre des injonctions contradictoires : comment défendre la loi SRU et les maires bâtisseurs, tout en respectant l’objectif de zéro artificialisation nette ?

E.C. : Je ne crois pas qu’il s’agisse d’injonctions contradictoires, c’est simplement la fin d’un modèle de consommation, voire parfois de prédation, du foncier hérité des Trente Glorieuses. Nous devons réinventer notre façon de produire la Ville. Il n’y a pas de contradiction entre produire du logement pour la France telle qu’elle est (celle des gens sous les plafonds de loyer Hlm) et respecter l’objectif du ZAN. Il faut tout de même savoir prendre un peu de hauteur : la grande artificialisation des sols est le fait de parking, de zones commerciales et industrielles en sortie de ville. Pas du logement.

La production Hlm est d’ores et déjà située majoritairement en recyclage urbain, avec une proportion limitée réalisée en extension urbaine. Quelle pédagogie faire autour du modèle de la ville dense ?

E.C. : On confond, parfois volontairement pour certains, la ville dense avec la ville de piètre qualité, la ville étouffante. Il faut savoir distinguer l’impression de densité que donnent les circulations automobiles, le bruit, la pollution ou les conflits d’usages et la densité réelle, c’est-à-dire le nombre d’habitants sur une surface donnée. Je crois que la voie de passage c’est de promouvoir la qualité de ville. Une ville écologique est une ville dense, qui offre des aménités urbaines au plus près de l’habitat.

Il faut montrer qu’on peut densifier tout en s’attelant à recoudre le tissu urbain, voire à le réparer. L’exemple de la Métropole lyonnaise nous montre qu’on peut être ambitieux en matière écologique, ambitieux sur le plan social et produire une ville de qualité qui cherchent à loger ses habitants. 

Le Mouvement Hlm a depuis longtemps considéré que les questions sociales et environnementales étaient intimement liées. Est-ce un coup d’avance, notamment pour accompagner la nécessaire transition énergétique ?

E.C. : Indéniablement, les Hlm sont les bons élèves de la transition écologique. Nous avons une bonne longueur d’avance sur le parc privé, nécessairement moins piloté car dispersé en de très nombreuses copropriétés. Nous avions globalement une pratique d’entretien des bâtiments qui n’a pas attendu les obligations légales pour avancer. La bascule de la loi Climat et Résilience et de la Stratégie Nationale Bas-Carbone nous demande d’accélérer et d’intensifier un travail que nous savions déjà faire. Par ailleurs, nous constatons chaque jour, et nous l’avons vu cet hiver, que les rénovations ambitieuses profitent au portefeuille de nos locataires. Il n’y a pas de discontinuité entre les questions sociale et environnementales.

La demande de reconnexion à la nature est tout aussi présente dans le logement social que dans le parc libre. Comment y répondre ?

E.C. : La renaturation du parc social est un phénomène à la fois récent et en ancien. Si les Hlm ont participé de l’essor d’un urbanisme qui s’est construit contre la Nature, nos cités-jardins ont très vite intégré « le lopin de terre » à cultiver comme élément indispensable de la vie familiale. Nous n’avons jamais complètement tourné le dos à la nature.

Pour autant, ces dernières années, nous avons intégré les nécessités d’un monde qui vit le dérèglement climatique. Nous devons participer aux trames vertes (végétation) et bleues (eau) qui se remettent en place dans les villes. Nous venons de signer une convention avec les Agences de l’eau pour progresser en ce sens. Nous intégrons des partenaires et des métiers nouveaux (paysagistes, écologues, maitres composteurs…) pour produire une urbanité qui ne s’oppose plus à la nature mais qui accepte de lui faire une place, sans concurrence avec nos objectifs sociaux.

 

En couverture : portrait d’Emmanuelle Cosse, Présidente de l’Union Sociale pour l’Habitat. ©Marwen Farhat USH.

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