Interview de Nora Segaud-Labidi, adjointe au maire d’Annecy : vue du centre-ville historique.
Publié le 23.01.25 - Temps de lecture : 6 minutes

« Les villes ont 10 ans pour opérer les changements nécessaires »

Nora Segaud-Labidi, adjointe au maire d’Annecy en charge de l’Aménagement Durable et de l’Habitat, détaille pour Envies de Ville les initiatives mises en place pour répondre à la crise du logement, promouvoir des pratiques de construction responsables et anticiper les besoins futurs de la ville. Une stratégie engagée pour faire d’Annecy une ville résiliente et innovante face aux enjeux environnementaux et sociaux.

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À RETENIR

  • Annecy s’attaque à la crise du logement via une planification intercommunale (PLUi-HMB) et un référentiel fixant des objectifs clairs : produire des logements accessibles (60 % de logements abordables) avec une répartition en trois tiers (social, abordable, libre), tout en intégrant des critères de qualité de vie et de durabilité.
  • Le projet urbain d’Annecy, élaboré avec des agences spécialisées, repose sur une intensification des spécificités locales, la priorité au climat (e.g., gestion des vents, des eaux) et l’adaptation des usages, tout en favorisant une approche souple, adaptée aux mutations climatiques et sociales.
  • Annecy encourage l’utilisation de matériaux bas carbone et régénérés malgré des contraintes de coûts, et intègre la gestion de l’eau dans la conception urbaine via des discussions précoces avec les acteurs concernés et des actions liées à la GEMAPI.
  • L’acceptation des projets passe par des consultations préalables impliquant élus, promoteurs et habitants, en plus d’un encadrement strict des avant-projets selon le référentiel, afin de garantir transparence, cohérence et adhésion collective.

La délégation d’adjointe au maire d’Annecy en charge de l’aménagement durable et de l’habitat était-elle une évidence pour vous ?

Nora Segaud-Labidi : Après une formation en sociologie urbaine, mon expérience au sein de l’agence d’urbanisme de Lyon a renforcé mon approche de l’aménagement du territoire, transversale à toutes les politiques publiques. Depuis plus de dix ans, je mets cette vision au service de notre territoire.

En tant qu’élue locale, quels sont les moyens dont vous disposez pour lutter contre la crise du logement ?

Nora Segaud-Labidi : Au niveau de l’EPCI, nous avons entrepris d’élaborer un document de planification tel que le PLUIHMB¹ où nous pouvons traduire nos orientations politiques, avoir une vision intercommunale sur les sujets d’Habitat, de Mobilité, et de bioclimatique.

Dès notre arrivée en 2020, nous avons élaboré un Référentiel du Bien Construire dans lequel nous déclinons trois thèmes : Aménager, Programmer, Construire. Un des éléments phares de ce référentiel, pour lutter contre la crise du logement, est de produire des logements abordables dans des zones d’aménagement maîtrisées par les collectivités en appliquant une programmation des trois tiers (un tiers de social, un tiers d’abordable, un tiers de libre).

Le but n’est pas de dessiner l’Annecy de 2050, mais de poser la question : « Que faut- il faire ici et maintenant pour que la vie à Annecy dans 10, 20, 30 ans soit aussi bonne qu’aujourd’hui, voire meilleure ? »

Ceci est intégré dans le PLUIHMB, dont l’objectif pour Annecy, au vu des besoins de la population, est d’avoir plus de 60 % de logements abordables (logements sociaux et BRS) dans notre territoire. La maîtrise du foncier par les collectivités est indispensable si nous voulons produire des logements accessibles à tous. D’où l’importance d’une vision à long terme que nous avons aussi engagé par une étude prospective : ANNECY 2050.

Vouloir penser l’avenir est toujours hasardeux. Il y a 25 ans, les téléphones portables n’existaient pas et on ne parlait pas d’intelligence artificielle adaptée à nos besoins. Le but d’un projet urbain à 25 ans -ce que nous proposons aux habitants d’Annecy- n’est donc pas de dessiner l’Annecy de 2050 mais plutôt de poser la question suivante : que faut- il faire ici et maintenant pour que la vie à Annecy dans 10, 20, 30 ans soit aussi bonne qu’aujourd’hui, voire meilleure ?

On voit bien que nous sommes dans une phase d’intense mutation et il serait faux d’affirmer que nous savons répondre de façon pertinente aux questions complexes qui se posent. Nous devons les affronter et imaginer la méthodologie et les outils qui nous donneront le plus d’agilité et donc le plus d’efficacité. Nous devons planifier nos politiques publiques, mais cette planification doit être souple afin de s’adapter aux aléas que nous ne pouvons anticiper.

Face aux bouleversements en cours, au premier rang desquels émerge la transition climatique, chacun s’accorde à dire que les villes ont 10 ans pour opérer les investissements nécessaires. Avec comme objectifs de :

  • Se donner les moyens d’encaisser au mieux les chocs à venir et faire preuve de résilience
  • Changer les comportements en matière de mobilité, de consommation, d’alimentation, etc…
  • Convaincre et prouver qu’un mode de pensée et de vie différent ne sont pas incompatibles avec une vraie qualité de vie

Il faudra 10 ans pour redonner toute sa profondeur à l’expression « aménagement du territoire », et rendre tout leur sens aux mots Responsabilité, Confiance et Culture. Pour répondre à tous ces défis, il est nécessaire de mener des politiques publiques responsables et solidaires, mais il est également essentiel d’éviter l’écueil du générique. S’il faut penser global, il faut aussi penser local.

Quelles sont les caractéristiques de la ville d’Annecy ?

Nora Segaud-Labidi : Annecy, c’est une histoire, une géographie et des spécificités dans son développement qui ne sont compréhensibles que dans ce contexte. L’époque où l’on pensait que faire table rase était nécessaire pour qu’advienne la modernité est révolue car les faits sont têtus.

Proposer aux Annéciens un projet clair, global et cohérent
mais en même temps souple et adaptable

Aujourd’hui ville forte de 6 communes fusionnées qui ont su garder leurs personnalités, leurs quartiers et leurs traditions, Annecy sera demain une ville qui aura su transformer ses spécificités et ses contraintes en atouts pour affronter l’avenir, les transitions écologiques, démographiques, sociales et économiques. Pour toutes ces raisons, et afin de pouvoir proposer aux Annéciens un projet clair, global et cohérent mais en même temps souple et adaptable, nous avons lancé un dialogue compétitif entre plusieurs équipes pluridisciplinaires durant les années 2021 et 2022. Nous avons retenu le projet de l’agence AUC et de l’agence de paysage SML, un projet qui pose quelques fondamentaux :

  • Il faut voir loin mais viser court. Cela signifie qu’il pose à la fois une ambition lointaine -horizon 2050- mais que cette ambition, pour être accomplie, doit commencer dès aujourd’hui par des projets de court terme. Imaginer l’avenir ne signifie pas stériliser le présent mais au contraire le stimuler.
  • Il faut poser le climat comme porte d’entrée des projets. Il ne s’agit plus de dessiner la ville puis d’y rajouter le paysage mais bien de faire l’inverse et de penser le climat comme donnée d’entrée : vents, eau, températures etc.
  • Certains projets, à l’œuvre ou encore non explorés sont stratégiques pour l’avenir et il affirme dans le même temps que le périmètre de la ville ne peut plus s’accroitre.
  • Une intensification des spécificités d’Annecy plutôt qu’un projet de table rase. Cette intensification s’accompagnera de changements d’usage. Pour y parvenir chaque projet, même le plus modeste, devra avoir un fort pouvoir démultiplicateur, un impact sur l’image du quartier et de la ville, un caractère exemplaire mais en même temps reproductible.

Comment le projet urbain que vous proposez va-t-il se traduire ?

Nora Segaud-Labidi : Le projet urbain proposé par AUC est un cadre qui va se traduire dans notre PADD (Projet d’Aménagement et de Développement Durables) comme dans notre futur PLUIHMD et qu’il va falloir enrichir en y appliquant nos politiques publiques (logement, équipements publics, tourisme, patrimoine, économie, culture, mobilité, action sociale, santé, jeunesse, scolaire, sport) et en respectant les principes fondamentaux qu’il présuppose (mutualisation, économie de moyen, réversibilité, solidarité, écomobilité).

Ce projet n’aura de sens que s’il est porté par tous, élus, administration et forces vives de la ville. Toutes les grandes villes et métropoles européennes se sont dotées, à l’aube de leur renaissance, d’un projet urbain qui permet de mesurer l’évolution de la ville et donne confiance aux habitants qui peuvent alors comprendre et partager une ambition commune : Barcelone, Lyon, Nantes, Bordeaux, comme dans de plus petites villes : Figeac, Loos en Guell…
Un projet urbain partagé, c’est la garantie d’un effort collectif qui vient briser en partie le développement des individualismes et le repli mortifère sur soi. C’est aussi le retour de la confiance dans LES politiques comme dans LA politique.

Créer les conditions d’un véritable acte d’habiter
et non de construction de produit d’investissements

Comment vivez-vous la crise du logement à l’échelle d’Annecy ?

Nora Segaud-Labidi : Cette crise du logement est une préoccupation de tous les instants. Mon engagement dans des instances nationales du logement social (Fédération Nationale des Offices Publics de l’Habitat) me fait dire que la ville ne pourra pas résoudre seule cette crise du logement. Des actions collectives doivent être mises en place pour retrouver un équilibre social et économique. Le coût du foncier est un vrai sujet sur notre territoire.

Le référentiel du « Bien construire » à Annecy est le premier document cadre de dialogue que nous avons mis en place en faisant converger les intérêts de tous, habitants, acteurs de la construction, acteurs socio-économiques, avec les impératifs de la transition et de notre projet de mandat, à savoir :

  • S’assurer que les projets répondent aux attentes et aux besoins réels des Annéciens
  • Créer les conditions d’un véritable acte d’habiter et non de construction de produit d’investissements.

La ville s’est dotée d’observatoires afin de rendre accessible le logement quels que soient les revenus, permettant aussi d’offrir un parcours résidentiel aux ménages. La typologie des logements est discutée avec le porteur de projets lors des ateliers. Plus globalement, le référentiel a pour objectif d’offrir une qualité de l’habitat en tenant compte de l’orientation, de la surface, des rangements à prévoir, mais aussi de disposer d’un balcon.

On ne construit pas moins mais différemment. Nous devons adapter l’offre à la demande pour maintenir des familles sur le territoire. Le processus de travail reste le même avec tous les porteurs de projets. Malgré le contexte économique difficile, nous espérons vivement que certaines opérations emblématiques sortent de terre en 2024. Elles sont emblématiques car elles réunissent des préoccupations importantes comme la disparition des stationnements de surface, de grands espaces verts communs centraux, la désimperméabilisation des sols et des constructions en ossature bois.

Des moyens réglementaires comme des documents de planifications existent mais dans les territoires hors secteur politique de la ville, dynamique et attractif comme celui qui caractérise la ville d’Annecy, ce sont les moyens financiers d’acquisitions de fonciers au prix du marché pour construire des logements abordables qui nous font défaut. Il faut plafonner le prix du foncier pour les projets d’intérêt général ou différencier le calcul du prix des domaines lorsque que cela est porté par une collectivité.


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Compte tenu des enjeux environnementaux, quels regards portez-vous sur les modes constructifs actuels et sur la gestion de l’eau dans les projets urbains ?

Nora Segaud-Labidi : Je ne peux que vous encourager à lire notre référentiel sur le sujet. Nous avons beaucoup travaillé les fiches avec nos experts sur le thème du mode constructif. Nous construisons très peu avec des matériaux bas carbone sur notre territoire, à cause des coûts de construction très élevés. Mais nous ne pouvons continuer à mobiliser le seul béton ! Nous avons beaucoup de difficultés à engager une transition vers des matériaux bas carbone et à réfléchir à des matériaux régénérés. La question de la gestion de l’eau est également intégrée dans nos discussions très en amont avec les acteurs de la construction et dans le cadre de la GEMAPI (Gestion des Milieux Aquatiques et la Prévention des Inondations).

Comment travaillez-vous l’acceptabilité des projets d’aménagement pour faire sens et répondre aux attentes des habitants ?

Nora Segaud-Labidi :  Les projets de constructions sont, avant signature du permis de construire, présentés conjointement par les porteurs du projet, promoteurs et élus, aux riverains afin de les informer du projet. Nous avons un process d’avant-projet très encadré que vous pouvez retrouver dans le référentiel du Bien Construire.

¹ Depuis la loi ALUR (2014), les EPCI (communautés de communes et communautés d’agglomération) sont fortement incitées à faire un PLUi, à l’échelle intercommunale. Le PLUi (Plan local d’urbanisme intercommunal) remplace le PLU de chaque commune. Le Grand Annecy a défini un PLUi qui permet d’aborder l’aménagement du territoire dans une vision plus systémique, à l’échelle de la communauté d’agglomérations. Pour aller plus loin, le Grand Annecy a décidé d’ajouter au PLUi trois dimensions : la dimension habitat, la dimension mobilité et la dimension bioclimatique. On parle alors de PLUi-HMB.

Envies de ville : des solutions pour nos territoires

Envies de ville, plateforme de solutions pour nos territoires, propose aux collectivités et à tous les acteurs de la ville des réponses concrètes et inspirantes, à la fois durables, responsables et à l’écoute de l’ensemble des citoyens. Chaque semaine, Envies de ville donne la parole à des experts, rencontre des élus et décideurs du territoire autour des enjeux clés liés à l’aménagement et à l’avenir de la ville, afin d’offrir des solutions à tous ceux qui “font” l’espace urbain : décideurs politiques, urbanistes, étudiant, citoyens…

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