Vue aérienne sur la Loire depuis l'Île de Nantes et les grues jaunes des "Machines"
Publié le 05.05.22 - Temps de lecture : 4 minutes

Alexandre Chemetoff : « Faire la ville sur la ville c’est avant tout poursuivre une histoire »

Architecte, urbaniste et paysagiste de talent, Alexandre Chemetoff est l’homme qui a permis à l’Île de Nantes et aux Rives de la Meurthe à Nancy de se révéler et de devenir des quartiers vivants et habités. Le Grand prix de l’urbanisme 2000 détaille pour Envies de ville les facteurs de réussite de ces deux projets.

L’aménagement de l’Île de Nantes sur 350 hectares est régulièrement cité comme modèle en matière de fabrique de la ville, quelles ont été les clés de ce projet ?

Alexandre Chemetoff : Il y avait une question assez simple au départ. À Nantes, la Loire avait été comblée après la première guerre mondiale au titre des dommages de guerre autour de l’Île Feydeau. Le fleuve coulait désormais de part et d’autre de l’Île de Nantes où se succédaient des sites portuaires, des emprises industrielles, des quartiers d’habitation ou encore des zones inondables. Longtemps les Nantais ont cherché à faire renaître la Loire mais aussi l’Erdre, son affluent, en ville. Lorsque nous avons commencé à travailler sur le projet, l’une des priorités a été de retrouver la Loire là où elle était effectivement. L’autre point clé de notre plan-guide, c’est la reconnaissance de la valeur de l’héritage industriel de l’Île avec les chantiers navals et les usines Alstom. Le déménagement des chantiers vers l’aval et vers Saint-Nazaire avait provoqué une certaine émotion, c’est pourquoi nous avons tout fait pour que la mémoire industrielle du site puisse contribuer à construire son patrimoine nouveau.


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Quelles ont été vos inspirations pour donner à l’Île son identité si particulière ?

Alexandre Chemetoff : À l’époque, j’étais allé voir Jean-Marc Ayrault, alors maire de Nantes, dans son bureau. Nous étions convenus de nous voir régulièrement sur l’Île de Nantes, en dehors de son bureau. Nous allions marcher, réfléchir, comprendre son caractère, sa logique, les imaginaires qui l’ont dessinée. Ces visites, auxquelles furent bientôt conviés d’autres acteurs du projet, étaient devenues une sorte de rituel fondateur. Il fallait que ce projet ne ressemble à aucun autre. J’ai par exemple proposé qu’on conserve les grandes nefs des anciennes halles industrielles pour en faire un nouveau passage couvert. Tout le monde était dubitatif. Aujourd’hui, près de 700 000 personnes s’y baladent chaque année. À cette période, tous les regards étaient tournés vers le musée Guggenheim qui venait d’être ouvert à Bilbao. La tentation de construire un musée ou un équipement majeur, un projet phare nécessairement emblématique, était grande. Mais pour moi, c’est la transformation de la ville elle-même qui devait être le symbole de sa renaissance, pas un bâtiment totémique.

En quoi l’installation des Machines de l’Île de Nantes a-t-elle contribué au rayonnement du projet ?

Alexandre Chemetoff : L’idée était d’installer le projet de François Delarozière dans une scénographie extraordinaire. Les animaux-machines devaient être les premiers visiteurs de l’Île pour capter l’attention et en révéler le changement. Ce qui est très intéressant ici, c’est que les Machines qui au départ étaient annexes au projet de transformation de l’Île sont devenues son emblème.

Le Grand Éléphant des Machines de l'île de Nantes en mouvement

Comment les Nantais se sont-ils appropriés l’Île pendant et après les travaux ?

Alexandre Chemetoff : Les gens n’imaginaient que des bureaux au bord de la Loire, et ne pensaient pas que nous puissions y construire autre chose. Nous avons proposé des programmes mixtes avec des logements, des commerces et des équipements. Nous avons appelé cette opération « habiter les quais ». Dessinant une composition de bâtiments très différents les uns des autres nous avons créé un quartier volontairement hétérogène et accueillant, comme une invitation à la promenade. Afin de démontrer par l’exemple que la transformation de l’île était lancée, nous avons avancé très rapidement pendant les six premières années. Pour que le quartier soit enviable, il fallait que les gens habitent les premiers logements, travaillent dans les bureaux, se rendent dans les cafés et commerces. C’est ce qui a permis aux habitants des quartiers existants et aux nouveaux venus de vivre dans un quartier agréable malgré la suite des travaux, en rendant concrets et immédiatement perceptibles les bénéfices de sa mutation. Ce sont parfois des choses très simples qui sont les plus efficaces. Les trottoirs ont été agrandis, des arbres ont été plantés, des aires de jeux et boulodromes aménagés, un nouveau mobilier urbain implanté et des terrasses de cafés étendues.

Vous avez également dessiné l’aménagement des rives de la Meurthe à Nancy, quels sont les points communs avec vos travaux sur l’Île de Nantes ?

Alexandre Chemetoff : C’est là aussi la construction d’un quartier qui marquait l’ouverture de la ville sur l’eau, là aussi sur un ancien territoire industriel. Le premier axe de transformation de ce quartier a été la construction de l’école d’architecture et d’une école d’ingénieur mais aussi l’aménagement du Jardin d’eau. Le postulat de départ n’est pas différent, si on commence par la réalisation d’un jardin, les gens viendront sans doute s’y promener et auront peut-être envie d’habiter là. C’est exactement ce qui s’est passé. Aujourd’hui, les appartements de ce quartier sont parmi les plus recherchés de Nancy. Faire un quartier c’est créer un environnement vivant, un endroit où les gens vont avoir plaisir à vivre. Si vous dites « je commence par le jardin », les immeubles vont se construire en face de bassins déjà en eau, vivants. Il est plus facile de demander aux promoteurs et aux architectes de composer en vis-à-vis d’un jardin des pièces à vivre et des balcons orientés vers le paysage… Cela donne une règle du jeu simple et compréhensible.

À Nantes et Nancy, ce sont deux sites déjà urbanisés où vous avez construit la ville sur la ville, comment intégrer l’existant aux nouveaux projets ?

Alexandre Chemetoff : Systématiquement, je m’intéresse aux raisons pour lesquelles d’autres avant moi ont pris des décisions qui ont façonné un état des lieux. Si vous décidez de garder la trame urbaine, le parcellaire, les tracés, cela permet de conserver des bâtiments existants et des rues, en intégrant les bâtiments nouveaux à un contexte. Tout n’est pas neuf, dans ces quartiers nouveaux et c’est ce qui fait leur charme. Nous venons poursuivre une histoire.

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