paysage de la France périurbaine
Publié le 30.06.22 - Temps de lecture : 7 minutes

« Le périurbain conservera son identité, dans une nouvelle manière de faire ville et de faire campagne »

Sa sociologie, les attentes de ses citoyens et de ses élus, ses atouts, ses défis… Photographie de la France périurbaine et analyse prospective de son avenir avec Chloé Morin et Marie Le Vern, cofondatrices du cabinet d’analyse de l’opinion Societing.

Portraits de Chloé Morin et Marie Le Vern, cofondatrices du cabinet d’analyse de l’opinion Societing

À quoi correspond d’un point de vue sociologique la France périurbaine ?

Chloé Morin : Cette catégorisation statistique à la française n’a nul équivalent à travers le monde. Si l’on se fie à l’INSEE, on peut considérer qu’un peu moins d’un quart de la population (soit un peu plus de 15 millions de personnes) réside en territoire dit périurbain et occupe l’équivalent – en matière de surfaces communales – d’un tiers de l’espace du territoire de la France métropolitaine. L’INSEE dans sa définition retient le seuil de 40 % de la population résidente qui travaille dans un pôle urbain à proximité.

Marie Le Vern : Nous pouvons définir la France périurbaine comme un entre-deux en matière de taille de commune, mais aussi en creux : ce n’est pas la France des grandes villes ni la France rurale. Ce n’est plus tout à fait la ville, mais ce n’est pas encore la campagne. Cette France périurbaine est souvent vécue comme un entre-deux. Pour exemple : il y a généralement des transports collectifs, mais ce sont aussi des territoires où la voiture est indispensable dans la vie de tous les jours. Pour ce qui est de l’habitat et des résidents, le périurbain est loin d’être uniforme puisqu’on y classe de petites et moyennes communes cossues à l’habitat presque exclusivement individuel et des villes à l’habitat plus collectif parfois dégradé.


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Comment cette sociologie a-t-elle évolué au cours des dix dernières années dans ces territoires ?

Chloé Morin : La grande particularité des espaces périurbains est qu’il y réside moins de ménages très riches et très pauvres, que le taux de grande pauvreté y est moins élevé et que le niveau relatif des inégalités y est moins grand. Cela peut donner à ceux qui y résident un plus grand sentiment d’appartenance commune à une situation sociale donnée et plus équilibrée.

Marie Le Vern : Ces dernières années, c’est plutôt le regard sur cette France qui a évolué sous plusieurs phénomènes, qui l’ont éclairée différemment. Les études se sont multipliées pour la saisir, notamment sur le plan électoral. Et, bien sûr, on a estimé que le mouvement des « gilets jaunes » avait pris naissance dans cet espace et qu’il y avait son plus grand nombre de soutiens. La population qui y vit se définit souvent comme la France des coulisses, celle qui vit et travaille à l’ombre des métropoles.

Les études montrent la place centrale de l’immobilier, de l’aménagement et du logement dans la vie des périurbains

Quelles sont les attentes des citoyens et des élus de la France périurbaine, notamment en matière d’urbanisme ?

Chloé Morin : La France périurbaine s’est montrée très dynamique, ces quarante dernières années, sur le plan démographique. Ce sont encore parfois des zones de passage : avant un plus grand éloignement encore des centres urbains ou alors avant un rapprochement vers ceux-ci pour ceux qui en auront la nécessité et les moyens.
Les élus de ces territoires attendent globalement une seule chose : davantage de respect et d’attention de l’État. Ils ont le sentiment, parfois justifié, que les moyens sont orientés prioritairement vers les zones les plus denses et que la spécificité du « périurbain », difficile à quantifier, ne suscite pas l’intérêt adéquat de la part des gouvernements et des administrations. Ils ont également le sentiment d’une forme de condescendance malvenue de la part des médias et des commentateurs alors que, globalement, il y a dans ces territoires une qualité de vie, un véritable art de vivre qui devrait être accompagné plutôt qu’injustement pointé du doigt. C’est une France qui a connu un fort taux d’abstention lors des derniers scrutins électoraux, ceci explique peut-être cela.

Marie Le Vern : Les études montrent la place centrale de l’immobilier, de l’aménagement et du logement dans la vie des périurbains. La France périurbaine est celle de l’espace, aussi bien intérieur qu’extérieur. Sans tomber dans les clichés, c’est aussi « la France cocon », celle où on peut fonder une famille, recevoir des amis, se retrouver à la maison pour partager un apéro, un barbecue dans le jardin où se trouve le trampoline des enfants… C’est en partie des lieux où on peut espérer une vie douce et relativement apaisée.
C’est donc souvent le choix de la maison individuelle quand c’est possible et, quand ça ne l’est pas, la possibilité de retrouver le même confort et les mêmes aménités dans l’habitat collectif pour un coût accessible. Pour les élus se pose souvent le dilemme entre étalement urbain, pour répondre aux aspirations de la population, et densification, pour faire face à la demande. C’est très certainement dans une nouvelle manière de faire ville et de faire campagne que le périurbain conservera son identité. On observe aussi une crainte pour la France périurbaine de se muer en France « Amazon », cédant la place aux usines, entrepôts et camions. Nous percevons une forte mobilisation des politiques publiques pour conserver de l’emploi productif et pour permettre aux entreprises de venir se développer sur leur territoire.

Ces zones ont été décriées au cours des dernières années, mais elles ont aussi des atouts à faire valoir. Lesquels ?

Chloé Morin : Il y a une recomposition sur certains territoires périurbains, considérés hier comme un marché de report faute de pouvoir habiter directement dans la zone urbaine, et qui sont aujourd’hui plus demandés par la génération des millennials (naissance dans les années 80-90) qui ont l’espoir d’y trouver une vie plus douce, offrant plus de loisirs à leurs enfants et bénéficiant d’activités plus accessibles. Oui, les gilets jaunes y ont, semble-t-il, été plus nombreux et plus soutenus qu’ailleurs. Mais on doit avant tout y voir une revendication, notamment à travers la demande du RIC (référendum d’initiative citoyen), à être inclus, à faire partie de celles et ceux qui décident.

La ville du quart d’heure, qui est un concept métropolitain, devra être traduite dans le périurbain

Marie Le Vern : Ce sont des territoires dynamiques et, contrairement à ce que l’on peut imaginer, qui sont davantage désirés par leurs habitants que certains articles de presse l’ont suggéré. La plus faible densité est évidemment plébiscitée, le rapport choisi au voisinage également (on décide ou pas de ses interactions). Ils offrent la possibilité d’un mode de vie plus équilibré et d’un accès à un grand nombre de loisirs de plein air plus aisé que la ville dense (grands centres urbains ou banlieue immédiate). L’épidémie de COVID-19 et le confinement les ont puissamment réhabilités à double titre. D’abord, parce qu’ils sont synonymes d’espace individuel au moment où des familles apparaissaient comme coincées dans des espaces exigus et sans extérieurs dans les grands centres urbains. Ensuite, parce que ceux qui y résident occupent plus souvent qu’ailleurs des fonctions indispensables, mais peu visibles et enfin mises en avant, par nécessité, pendant la COVID.

Quels sont les défis des élus de communes périurbaines pour les dix prochaines années et comment peuvent-ils les relever ?

Chloé Morin : Il faut appréhender le périurbain dans sa diversité, il y a de forts contrastes. Des études récentes montrent des transformations des pratiques des habitants avec davantage de mobilités résidentielles, moins de mobilités domicile-travail vers le centre des agglomérations, le tout s’accompagnant d’une transformation du profil socio-générationnel des ménages avec une part plus importante des plus âgés. Ces dynamiques attestent d’un glissement progressif vers des formes de maturité au sein du périurbain nécessitant de prendre en compte ces nouvelles problématiques et par conséquent de concevoir des projets territoriaux adaptés. Ces territoires, par leur hétérogénéité sociale et idéologique, sont confrontés à une problématique qui s’impose à l’ensemble de notre pays : la nécessité de refaire société, de reconstruire un pacte social qui se délite – avec un consentement à l’impôt, et à la solidarité, miné par le sentiment que certains « profitent » du système, en haut comme en bas de l’échelle sociale – et de construire des compromis autour de projets collectifs. Cela pose la question de la méthode : la démocratie participative, censée revitaliser la démocratie représentative, n’a pas encore trouvé sa juste place, complémentaire et non concurrente à la représentation.

Marie Le Vern : Ces défis sont nombreux. D’abord, la question du vieillissement de leur population dans de bonnes conditions de vie au quotidien sera centrale. Elle nécessitera un véritable pacte entre toutes les collectivités, l’État et les opérateurs privés. Le défi climatique est, pour l’essentiel, devant nous. Sur cette partie du territoire, il le sera plus encore. Le mouvement doit être de plusieurs ordres. Il consistera notamment à rendre accessible ce qui ne l’est pas encore, notamment en ce qui concerne les services publics. La ville du quart d’heure, qui est un concept métropolitain, devra être traduite dans le périurbain. Le sujet des déplacements du quotidien doit être investi avec force et sans aucun tabou : aide à l’accès des véhicules individuels propres, modes de transport collectifs adaptés, réorganisation du travail en évitant les déplacements superflus, nouveau mode d’habitat collectif rassemblant des caractéristiques aujourd’hui réservées à l’habitat individuel. La lutte contre le réchauffement climatique ne peut évidemment pas se faire au détriment d’une politique de développement économique, encore moins dans un territoire qui a vu naître une partie de la contestation des gilets jaunes. La priorité des familles les moins aisées, dans le choix d’un logement, est souvent moins sa sobriété énergétique que le prix du loyer même si tout va de pair. Ce défi, la puissance publique va devoir le relever main dans la main avec les professionnels de l’immobilier, y compris dans une vaste politique de rénovation.

Quelle est la perception esthétique de la France périurbaine par ses habitants ? Quelles sont les principales actions à mener sur ces territoires pour améliorer l’esthétique ?

Chloé Morin : Quand on habite la France périurbaine, on peut alterner, en l’espace de quelques minutes, entre routes de campagne, autoroutes, champs cultivés, zones d’activités, entrées de ville… Renier cette alternance de fortes et faibles densités dans un court espace-temps, ce serait nier la raison pour laquelle le périurbain attire : avoir tout à proximité sans être dans la promiscuité. On a plaisir à voir les petits centres-villes historiques, les petits bourgs sympathiques. Il est vrai qu’il y a aussi une standardisation de la production immobilière faisant naître souvent un sentiment de déjà vu, notamment dans les lotissements et sur les zones d’activités commerciales.

Nous observons un retour en grâce des logements des centres-bourgs qui sont de nouveau valorisés

Marie Le Vern : L’habitat périurbain peine en effet quelques fois à se renouveler sous l’effet de la permanence du rêve pavillonnaire. On observe néanmoins un retour en grâce des logements des centres-bourgs qui sont de nouveau valorisés. Les réhabilitations du patrimoine architectural rural – agricole et industriel – se multiplient pour loger sur des surfaces plus petites des ménages au profil renouvelé, un processus révélateur de toute la complexité des sociétés périurbaines.

À quoi ressemblera la mobilité dans la France périurbaine d’ici dix ans ?

Chloé Morin : Dans la France périurbaine actuelle, les réseaux de transports en commun existent, mais ne font pas tout. L’étalement urbain des communes entraîne nécessairement l’usage de la voiture individuelle. Dans l’idéal, la France périurbaine verra disparaître les véhicules thermiques et développera le covoiturage : finis les trajets en voiture diesel ou essence pour aller travailler ou aller chercher son pain dans le centre-ville ; à la place, covoiturage avec les collègues ou utilisation de son vélo électrique ! À ce stade, cette perspective peut paraître impraticable, un rêve de bobos urbains ne connaissant pas les contraintes de la vie périurbaine. Mais une adaptation de nos modes de vie n’est plus une option, et l’entreprise, l’innovation publique et privée, seront porteurs de solutions demain. Ce chemin, les collectivités sont déjà en train de le prendre, en réalité. De nombreuses communes se sont déjà équipées ou s’équipent, souvent en lien avec les commerçants locaux, en bornes électriques pour les voitures. Elles développent des plans vélos, des pistes cyclables…

Marie Le Vern : Par définition, ce sont des territoires qui nécessitent de posséder un véhicule individuel. L’enjeu c’est d’en limiter ou d’en transformer l’usage. L’offre de transport qui y existe actuellement se limite en général à un réseau de transports n’offrant pas beaucoup de flexibilité. Elle ne suffit pas à répondre à la demande de mobilité des habitants, notamment des plus jeunes. Dans l’idéal, tous les modes et services seraient digitalisés pour offrir une solution personnelle de transport « porte-à-porte » à chaque usager : covoiturage, partage de véhicules, transport à la demande, flottes de véhicules propres, engins de déplacement personnels…

Envies de ville : des solutions pour nos territoires

Envies de ville, plateforme de solutions pour nos territoires, propose aux collectivités et à tous les acteurs de la ville des réponses concrètes et inspirantes, à la fois durables, responsables et à l’écoute de l’ensemble des citoyens. Chaque semaine, Envies de ville donne la parole à des experts, rencontre des élus et décideurs du territoire autour des enjeux clés liés à l’aménagement et à l’avenir de la ville, afin d’offrir des solutions à tous ceux qui “font” l’espace urbain : décideurs politiques, urbanistes, étudiant, citoyens…

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