Publié le 06.01.22 - Temps de lecture : 4 minutes

Mobilité résidentielle : la crise sanitaire a-t-elle vraiment bouleversé les aspirations des Français ?

Où sont passés les 5 millions de Français que la crise sanitaire a poussé à déménager ? Plusieurs études récentes sur la mobilité résidentielle dans l’Hexagone apportent des réponses à cette question. Principal enseignement : les tendances observées au cours des dernières décennies se trouvent exacerbées. Décryptage.  

Las de la pandémie de Covid-19, les Français urbains sont nombreux à être sortis des confinements avec une idée en tête : déménager, comme un peu plus de 11 % de la population (environ sept millions de personnes) chaque année. Pris d’une envie de vert et poussés par l’essor du télétravail, ils ont quitté leur grande métropole pour s’installer dans des territoires moins denses, plus ruraux, au risque d’accélérer sur place un phénomène de gentrification déjà existant.

Si différents éléments matériels (travail, foncier, paysage) sont pris en compte avant un déménagement, « les migrants affluent surtout vers les bassins de vie ruraux et périurbains dont les revenus médians sont plus faibles […] faisant ressortir des flux migratoires à destination des territoires où le foncier est plus accessible », ont constaté les chercheurs Cécile Batisse, Stéphanie Truchet, Nong Zhu dans l’étude « Migration résidentielle vers le rural et le périurbain : un processus ségrégatif ? » réalisée à partir des chiffres du recensement 2014 de l’Insee.

Pas question pour autant de s’isoler, puisque « l’accessibilité est une variable fondamentale dans les choix de localisation résidentielle des actifs », écrivent-ils. Ce facteur joue en faveur des zones périurbaines, qui desservent souvent bien les villes de plus de 50 000 habitants et peuvent profiter des aménagements locaux. Tandis qu’une attention particulière est apportée aux équipements de santé dans les zones rurales, forcément plus éloignés et donc moins accessibles.


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Alors que les cadres et professions intellectuelles supérieures tendent à déménager plus loin et sont attirés par la mixité sociale, leur présence accrue dans une zone tend à faire fuir les ouvriers et employés, plus séduits par l’homogénéité sociale. Ce phénomène entraîne des disparités sociales au niveau du territoire.

Cécile Batisse, Stéphanie Truchet et Nong Zhu relèvent ainsi « l’existence, à l’échelle de l’ensemble du territoire, de regroupements géographiques sur la base d’un certain nombre de critères de ressemblances », ce qui entraîne « un accroissement des inégalités territoriales ». Et ce n’est pas nouveau.

La lente remontée du rural dans la mobilité résidentielle accélérée par la crise sanitaire

Il n’a pas fallu attendre la crise du Covid-19 pour que les flux migratoires internes à l’Hexagone sortent des grandes villes pour faire gonfler leur périphérie (les zones périurbaines), puis, plus récemment, les bassins de vie ruraux alentours. Dans son rapport 2018 (basé sur le recensement 2014), l’Observatoire des territoires (OT) constatait même que « la croissance migratoire des espaces ruraux tend à rattraper celle, ancienne, des espaces périurbains ».

Croissance migratoire des espaces ruraux

Bien sûr, la pandémie a été un vecteur d’accélération et cela s’est ressenti dans les déménagements. Entre le second semestre 2019 et celui de 2020, un « exode urbain » s’est, semblerait-il, amorcé. Les acquisitions immobilières dans un autre département ont augmenté de 13 %, d’après le rapport Barrot, qui souligne un nombre important de départs depuis les villes de Paris, Marseille, Toulouse et Nantes, au profit de départements limitrophes et plus ruraux – les Parisiens se sont ainsi tournés vers le Centre-Val-de-Loire et la Normandie.

Pour Emilie Arnoult, chercheure en économie, affiliée au Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET) le phénomène de migrations résidentielles « interroge sur la capacité des villes à rendre leur territoire attractif […] sans détériorer le cadre de vie des personnes qui y résident ».

Co-autrice d’une étude dans laquelle elle a remarqué l’influence des offres de contrats à durée indéterminée (CDI) sur les migrations résidentielles, la chercheure estime que « le télétravail pourrait – en partie – réduire la contrainte de proximité entre localisation résidentielle et localisation de l’emploi. La plus grande déconnexion entre le lieu de travail et le lieu de résidence pourrait réduire la tension pour l’occupation des sols dans les grandes agglomérations ».

Une préférence pour l’Ouest de longue date

Les Français veulent donc s’éloigner des villes, mais pour aller où ? À l’Ouest, essentiellement et ici, rien de nouveau. On constate que les régions qui attirent le plus les actifs (Auvergne Rhône-Alpes, les Pays-de-la-Loire, l’Occitanie, la Bretagne et la Nouvelle-Aquitaine) sont celles qui connaissaient déjà une forte croissance migratoire au cours des cinquante dernières années, avec un attrait croissant du littoral.

Solde migratoire

(©ANCT pôle ADT 2021)

De la même façon, les régions qui connaissent un déficit migratoire aujourd’hui sont les mêmes qu’au cours des décennies passées (Dom, régions du Nord et de l’Est). « Les deux ensembles étant schématiquement séparés par la ligne Saint-Malo-Genève », pointe l’Observatoire.

Laurent Rieutort, géographe et enseignant-chercheur à l’université de Clermont-Auvergne, observe que « dans la période récente, les facteurs liées aux perceptions des territoires, aux aménités (paysage, climat, NDLR) qu’ils offrent, deviennent décisives ».

Vers l’émergence de territoires hybrides ?

Pour les territoires concernés par ces flux migratoires, l’enjeu est d’adopter une « stratégie globale de développement » face à « ces migrations individuelles, souvent éparses ». Il pointe trois axes de travail : « jouer sur le cadre et la qualité de vie […] ; organiser et construire localement l’offre de logements, de services et de travail […] ; prospecter et communiquer dans les villes pour trouver de futurs migrants, notamment des porteurs de projets ».

Auteur d’une étude sur les territoires gagnants du développement local, il assure que « la crise sanitaire pourrait contribuer à l’émergence de « territoires hybrides » », petits par leur taille mais efficacement intégrés au maillage territorial par les usages numériques – télétravail en tête – et les réseaux de mobilités. « Si des territoires gagnants confortent leur attractivité, c’est aussi parce qu’ils s’intègrent à ces réseaux […] Dans un monde métropolitain, la taille ou la localisation de la commune rurale compte moins que son appartenance à une communauté élargie, intégrant réseaux sociaux, mobilités et villes. On peut faire l’hypothèse que ces nouvelles dynamiques constituent un modèle post-crise. »

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