Créatrice de Wishibam, qui aide les commerçants à digitaliser leur offre au sein de « market-places » de proximité, Charlotte Journo-Baur souligne l’importance du commerce physique. Et sa nécessaire adaptation.
Publié le 17.03.22 - Temps de lecture : 4 minutes

Centres-villes : « Les enseignes locales sont en mesure de lutter avec les géants du
e-commerce »

Créatrice de Wishibam, qui aide les commerçants à digitaliser leur offre au sein de « market-places » de proximité, Charlotte Journo-Baur souligne l’importance du commerce physique. Et sa nécessaire adaptation.

On a beaucoup parlé d’un effet « Covid » sur le commerce : quelles observations faites-vous ?

Charlotte Journo-Baur : Avant la crise sanitaire, la fréquentation des magasins était en forte baisse (environ 60 %), alors que dans le même temps, le e-commerce connaissait un boom de l’ordre de 180 % en Europe. Le commerce de proximité, le prêt-à-porter, la décoration étaient déjà fragilisés, et l’e-commerce leur prenait des parts de marché, avec les répercussions que l’on connaît sur la fréquentation des centres-villes puisque le taux de vacance a progressé lui, sur la même période, de 57 %. La crise du Covid-19 a accéléré la transformation numérique, et les vendeurs doivent être présents où et quand le consommateur veut acheter au risque de perdre la vente. D’après la dernière étude Fevad présentée aux Assises du Commerce, 68 % des cyber acheteurs disent que tous les commerces de proximité en centre-ville devraient proposer la possibilité de commander sur internet.

À quelles évolutions sociales, quels besoins structurels répond votre entreprise ?

Charlotte Journo-Baur : Je crois au digital qui complète le magasin et le renforce mais pas à un digital qui se substituerait au magasin. Wishibam c’est une plateforme pensée pour répondre aux problématiques techniques et opérationnelles des commerçants. Nous nous adressons à l’intégralité de l’écosystème commercial puisque nos clients sont à la fois les collectivités locales, les foncières commerciales, les gros distributeurs et les indépendants. Nous nous inscrivons au côté des collectivités locales pour redynamiser le tissu commercial en équipant les commerçants avec des outils qui leurs permettent de vendre plus et mieux en magasin. Sur les six derniers mois plus de 2 000 commerçants indépendants ont été numérisés et sont entrés sur nos marketplaces de proximité pour permettre aux clients finaux d’acheter en ligne les produits disponibles dans les magasins. Au-delà de la numérisation facilitée du stock nous permettons aux commerces de centre-ville d’intégrer le miroir digital de leurs villes et d’ajouter gratuitement de nouveaux services plébiscités par leurs clients : Click & Collect, livraison, drive, Call & Collect. Les clients finaux bénéficient d’une expérience exceptionnelle qui allie la praticité du web et l’expérience magasin en supprimant les irritants (ruptures de stock, queue, pluie, travaux, doute sur la provenance des produits, difficultés d’échange…) et participent à la création de richesse locale. Aujourd’hui, il est crucial de renouer avec une croissance durable, d’être à la fois rentable et responsable. Ce sont des termes un peu oubliés par certains nouveaux acteurs de la vente en ligne que l’on voit fleurir ces derniers temps.


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Entre la boutique « classique » et l’entrepôt urbain d’un « dark-store », il y a un juste milieu à trouver ?

Charlotte Journo-Baur : Les dark-stores non visibles dans les espaces morts comme les parkings pourquoi pas. Mais il faut alors réglementer cette activité notamment via un cadre légal visant à protéger les employés. J’ai deux sujets avec les dark-stores : le premier c’est qu’on habitue le consommateur à des normes marchés qui sont intenables sur le long terme. La livraison en 10 minutes ne peut être rentable. Les acteurs traditionnels ne peuvent donc pas proposer cette offre et perdent leurs clients. C’est une concurrence déloyale déguisée. Le second c’est évidemment la précarisation de l’emploi imposé par ce modèle. Je suis formellement contre les dark-stores au cœur des villes. Mettre des entrepôts logistiques en cœur de ville, pour moi, c’est la mort de la ville. Elle doit rester un lieu de rencontre, de socialisation, et les commerces de proximités jouent ce rôle. Les commerçants sont déjà présents, reconnus par leurs clients, et se doivent de proposer une expérience en ligne afin de compléter leur offre.

Pour les commerçants et les clients, quels sont les avantages d’une offre omnicanale, à la fois physique et digitale ?

Charlotte Journo-Baur : Pour le consommateur c’est la promesse de pouvoir favoriser le local sans faire de compromis. Il bénéficie de la meilleure des expériences. D’après l’étude Fevad 2021 présentée aux Assises du Commerce : 61 % des personnes interrogées valorisaient la possibilité de commander ce qu’ils veulent tout en préservant le commerce local, pour permettre aux commerçants de centre-ville de se faire connaître et de prospérer. Du côté du commerçant, celui-ci multiplie les points de contact avec ses clients. Il est là quand le consommateur veut acheter. Un consommateur qui achète en physique et en ligne dépense 7 fois plus chez son commerçant qu’un consommateur qui n’achète qu’en ligne et 3,8 fois plus qu’un consommateur qui achète juste en physique !

Malgré l’essor du digital, quels sont les avantages concurrentiels du commerce physique ?

Charlotte Journo-Baur : Entre clients et commerçants, il y a une relation pré-existante, une certaine confiance aussi, bien plus grande que lorsque l’on se retrouve devant son ordinateur sur un site marchand. Dans les commerces que nous équipons, nous observons un taux de retour près de 60 % plus faible par rapport à la moyenne des achats en ligne en France, et un taux de conversion 65 % plus élevé. C’est le signe d’une vraie attente des consommateurs pour une expérience de proximité, humaine, locale. Le commerce physique est très loin d’être mort : il représente dans notre pays 90 % de tout le secteur du retail et cela fait du bien de le rappeler.

Face aux géants du e-commerce, les petites enseignes peuvent donc tirer leur épingle du jeu ?

Charlotte Journo-Baur : C’est possible bien sûr, et c’est même nécessaire. Le commerce de détail tient une part très importante dans l’économie de notre pays – il en est le 7e contributeur. Son rôle en termes d’emploi est également très important. Il faut donc que le secteur s’adapte en conservant le meilleur de l’expérience physique et des pratiques digitales. L’être humain a un vrai besoin de se rencontrer, d’échanger, de vivre des expériences, que le digital ne permet pas. Essayer un produit, ou avoir une discussion sur des sujets du quotidien avec le commerçant de sa rue, c’est une expérience culturelle. Avant, les commerces de centre-ville s’opposaient à ceux des centres commerciaux, les indépendants s’opposaient aux franchisés, etc. En digitalisant une partie de l’expérience (avec le click & collect, l’accès à la disponibilité d’un produit de chez soi ou la livraison), ils s’affranchissent de cette concurrence, et se concentrent plus sur l’offre qu’ils apportent. In fine, ils servent tout le territoire. Au lieu d’être concurrents, les enseignes locales deviennent complémentaires, et avec une offre adaptée aux nouveaux usages, elles deviennent en mesure de lutter avec les géants du e-commerce.

Comment aidez-vous les villes et collectivités ?

Charlotte Journo-Baur : Nous travaillons aujourd’hui avec plus de 150 collectivités locales sur les problématiques de redynamisation du territoire. Véritable outil de marketing territoriale, ces plateformes de proximité que nous déployons avec des villes comme Metz, Angers, Megève, Fontenay-Le-Comte par exemple recensent les commerçants locaux, qui peuvent directement y vendre leurs produits mais aussi bénéficier d’une visibilité forte qui draine du trafic qualifié dans les magasins. Nous aidons également directement les commerçants afin de les accompagner, notamment dans la digitalisation de la gestion de leurs stocks. L’état a conscience de la nécessité d’accompagner les commerçants indépendants vers une transition numérique réussie, c’est la raison pour laquelle des subventions sont allouées à ce type de projet. Nous sommes fiers d’œuvrer à la démocratisation de ces outils et de permettre aux commerçants de se battre à armes égales avec les gros acteurs qu’ils soient physiques ou en ligne. Assurer la diversité du commerce par le digital est clé pour continuer à trouver des leviers de croissance, inventer des nouveaux usages vertueux, et faire perdurer le rôle social de la ville.

Envies de ville : des solutions pour nos territoires

Envies de ville, plateforme de solutions pour nos territoires, propose aux collectivités et à tous les acteurs de la ville des réponses concrètes et inspirantes, à la fois durables, responsables et à l’écoute de l’ensemble des citoyens. Chaque semaine, Envies de ville donne la parole à des experts, rencontre des élus et décideurs du territoire autour des enjeux clés liés à l’aménagement et à l’avenir de la ville, afin d’offrir des solutions à tous ceux qui “font” l’espace urbain : décideurs politiques, urbanistes, étudiant, citoyens…

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