Publié le 11.06.20 - Temps de lecture : 4 minutes

Télétravail : une réponse durable à la densification urbaine ?

Le développement du télétravail pendant le confinement a modifié la cartographie du travail : du domicile au tiers-lieux, l’activité salariale devient nomade. C’est toute l’ergonomie du travail ainsi que sa géographie qu’il faut à présent repenser.

Le confinement a obligé la plupart des entreprises à basculer vers le télétravail pour poursuivre leur activité. Pour certaines entreprises, le retour au bureau est progressif depuis le déconfinement. D’autres structures envisagent cependant de pérenniser le travail à distance pour deux raisons principales : l’anticipation de nouvelles vagues épidémiques et l’opportunité de réduire les coûts de fonctionnement, puisque l’immobilier est considéré comme la deuxième source de dépenses des entreprises, juste après les ressources humaines.

Selon une étude menée par Morning Coworking, la moitié des travailleurs interrogés veulent demander à leur hiérarchie de pouvoir accéder à des espaces de coworking qui combleraient deux besoins : le besoin de socialisation des travailleurs, et le besoin de flexibilité des entreprises. En plus d’une nouvelle architecture des espaces de travail et d’un effort supplémentaire sur les normes d’hygiène — avec par exemple la rénovation des filtres à air dans les bureaux, le télétravail impose une nouvelle géographie de l’activité salariale, qui n’est plus limitée à un site précis, mais qui s’étendra à tout un ensemble de tiers-lieux, entre lesquels le salarié pourra naviguer. Des espaces de travail innovants qui répondent à un besoin en flexibilité : « Là où le co-working reste un bureau à part entière, nos ‘Anticafé’ acceptent les habitués comme les travailleurs de passage. On peut y venir pour deux ou trois heures seulement, à la différence de la plupart des espaces partagés loués au mois », affirme Leonid Goncharov, créateur en 2013 du premier Anticafé parisien.

L’association France tiers-lieux recense justement 1800 établissements permettant le télétravail, de l’espace de coworking au fablabs en passant par les repair’cafés. Pour soutenir ces lieux touchés par l’épidémie et pour permettre leur développement crucial pour la reprise économique, l’Agence nationale de la cohésion des territoires a mis en place un système d’aides et de subventions, affirmant que ces espaces « ont en commun de réunir plusieurs activités, de participer au développement économique d’un territoire et d’animer une communauté de personnes qui y travaillent et y vivent ». Les tiers-lieux sont maintenant sous protection de l’État pour participer au développement économique des territoires ruraux et urbains.

Les salariés eux-mêmes aspirent de plus en plus à travailler en province, où la vie est en moyenne moins chère et où la pollution laisse place à la nature. De nombreux citadins voient dans le télétravail l’opportunité de quitter la ville pour retrouver la nature, comme Anaïs*, journaliste de 29 ans qui raconte : « Ça nous a fait nous rendre compte qu’on avait plus du tout envie de cette vie-là. Qu’on avait envie d’espace, d’air, de nature et de changer vraiment de rythme ». Le site Leboncoin a ainsi enregistré une hausse de 30% des recherches en zones rurales et de 20% dans les zones urbaines moins denses. Ce nouvel aménagement du travail, plus flexible, permettra un nouvel aménagement du territoire, moins concentré sur les grandes villes. Le télétravail est peut-être la réponse au problème de la densification urbaine. En privilégiant des zones rurales où l’immobilier est moins cher, les télétravailleurs s’offrent l’opportunité de s’aménager un véritable espace de travail avec une pièce dédiée chez eux. Le télétravail représente en effet un enjeu ergonomique majeur pour dissocier ce qui relève du travail et ce qui relève de la sphère privée : confiner son travail à une pièce précise peut être une solution pour faciliter l’exercice de son droit à la déconnexion.

Une nouvelle cartographie du travail qui impacte le secteur immobilier

Alors qu’un quart des salariés est en télétravail, celui-ci pourrait bien devenir la nouvelle norme pour certaines entreprises. En ce sens, la dernière annonce du groupe PSA est fracassante : faire du télétravail la règle et non l’exception en ramenant ses collaborateurs sur site un jour et demi par semaine. Si 17.000 salariés étaient déjà concernés par le télétravail chez PSA, c’est aujourd’hui plus de 80.000 collaborateurs qui vont voir leurs habitudes changer. En ce sens, le groupe PSA a baptisé son projet : New Era of Agility (« Nouvelle Ère d’Agilité »), signifiant que le travail sera plus flexible à l’avenir, avec moins de contraintes physiques et des horaires moins précis. Selon le DRH du groupe, il a pour fonction de donner du « temps utile aux salariés », notamment en économisant sur le temps de transport pour se rendre sur site. Se retrouver au bureau servira alors à « travailler en commun et renforcer le lien social. » Plus qu’agile, le salarié de demain devra être nomade.

Cette multiplication des lieux de travail n’est pas sans conséquence sur le marché de l’immobilier. Déménager proche de son lieu de travail ne sera sans doute plus nécessaire à l’ère du télétravail. Selon le baromètre SeLoger-lpi, le prix des maisons en métropole est en hausse : « la progression des prix reste très souvent plus vive que dans le cas des appartements et elle s’est encore renforcée dans plusieurs métropoles. » En effet, si le lieu de vie devient aussi un lieu de travail, il faudra réaménager son espace personnel, le rendre plus vivable. Si le télétravail continue de se développer, le niveau de confort chez soi doit être le même que celui en entreprise : il faut repenser l’ergonomie de son espace de travail personnel, s’offrire une pièce calme dans laquelle s’isoler avec un bureau adapté à son travail. Les télétravailleurs pourraient privilégier les maisons, plus spacieuses que les appartements, et qui offrent parfois un jardin où se détendre. 

Le président de la Fondation Travailler Autrement affirme ainsi que le développement du télétravail sera corrélatif au développement des villes moyennes. Patrick Levy Waitz déclare donc : « le développement économique va pouvoir aller vers une démétropolisation. » Bien sûr, le développement des villes moyennes ne se fera pas sans le développement des infrastructures ferroviaires : les villes reliées à Paris par le TGV seront sans doute les plus convoitées par les télétravailleurs de demain. Le télétravail sera peut-être l’occasion pour les salariés du secteur tertiaire de renouer avec la France rurale. Entre le développement d’une véritable conscience écologique et l’essor du télétravail, les conditions sont réunies pour un nouvel aménagement du territoire français, et un développement économique au-delà des grandes métropoles. La politique publique qui vise à soutenir les tiers-lieux suggère ainsi une refonte de l’urbanisation française, depuis trop longtemps concentrée sur sa capitale.

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