Vue d'une ville bretonne au bord de la mer où de plus en plus de maisons deviennent des résidences secondaires. Crédit : Drazen Zigic sur Freepik
Publié le 12.03.24 - Temps de lecture : 4 minutes

Résidences secondaires et crise du logement : est-il devenu impossible de se loger dans une ville touristique ?

Maison pour les vacances, Airbnb ou biens achetés en vue de la retraite, dans certaines zones touristiques, la multiplication des résidences secondaires aggrave la crise du logement. Entretien avec Benjamin Keltz, auteur du livre consacré à ce sujet, « Bretagne Secondaire ».

À RETENIR :

  • La multiplication des résidences secondaires aggrave la crise du logement dans les zones touristiques, dépassant parfois le nombre de maisons principales et menaçant l’accès au logement des habitants locaux.
  • Cette situation rend difficile voire impossible pour de nombreux habitants de vivre dans les villes touristiques où ils ont grandi, même pour des professionnels comme des chefs d’entreprise ou des médecins.
  • Les conséquences sociales incluent la détérioration des territoires côtiers, la perte de mixité sociale, le vieillissement de la population et les problèmes d’infrastructures saisonnières.
  • Des solutions envisagées comprennent la surtaxation des résidences secondaires, la création de logements sociaux et une meilleure régulation des locations saisonnières, bien que les défis restent importants et exigent une action politique volontariste.

 

Journaliste indépendant pour le magazine Bretons, correspondant du Monde en Bretagne, Benjamin Keltz a arpenté la péninsule à la découverte de ces territoires aux « volets fermés », ne vivant qu’une partie de l’année au rythme des saisons touristiques. Dans certains de ces bourgs, le nombre de résidences secondaires dépasse parfois celui des maisons principales, et menace l’accès au logement des habitants du cru.

Est-ce encore possible de vivre dans une ville touristique où l’on a grandi ?

Benjamin Keltz : C’est très difficile, j’en ai fait l’expérience moi-même. Je suis journaliste, ma femme est assistante sociale, nous faisons donc partie de la classe moyenne. Nous avions décidé de quitter, avec nos enfants, la banlieue rennaise pour habiter à Saint-Malo où j’ai grandi. Or, avec notre budget, nous n’avons pas trouvé à nous loger, nous avons dû chercher une maison plus loin à l’intérieur des terres, comme tant de jeunes gens et de personnes aux revenus modestes.

Il m’est arrivé de rencontrer des chefs d’entreprise, des cadres ou des médecins qui ne trouvaient pas à se loger ! 

Sur 20 % du littoral breton, on compte plus de résidences secondaires que principales, c’est-à-dire soit des maisons de vacances, soit des Airbnb, ou encore des demeures achetées par des particuliers en vue de leur retraite. Mécaniquement, le prix de l’immobilier explose, car ceux qui achètent ont bien de plus de capital que les locaux et peuvent parfois payer cash. Et la plupart du temps, ce sont des investissements faits par des Bretons eux-mêmes, expatriés dans d’autres métropoles françaises ! Ce sont des endroits où selon moi on est allé trop loin dans le tourisme.

Qui est obligé de s’expatrier, loin de ces zones inaccessibles économiquement ?

Benjamin Keltz : Quand j’ai commencé mon travail d’enquête, je pensais que cela concernait surtout les jeunes et les classes moyennes et modestes. Mais il m’est arrivé de rencontrer des chefs d’entreprise, des cadres ou des médecins qui ne trouvaient pas à se loger ! Le pire reste les territoires insulaires bretons : soit ceux qui y vivent acceptent la précarité, soit ils partent.

Quelles sont les conséquences sociales de ce problème ?

Benjamin Keltz : Elles sont très nombreuses. Ces maisons aux volets fermés détraquent des territoires entiers du littoral, dont les commerces et les services ne fonctionnent plus qu’une partie de l’année. Elles le privent de mixité sociale, accélèrent le vieillissement de la population, concourent à la fermeture des écoles. Les personnes ayant acheté une maison pour vivre leur retraite dans ces territoires risquent de ne plus trouver d’infirmiers, d’aides de vie ou même des femmes de ménage et des jardiniers habitant à proximité. C’est déjà une réalité dans certains territoires.

Il y a aussi la question des infrastructures. Prenons l’exemple des stations d’épuration : elles sont bien dimensionnées 49 semaines par an, mais elles ne suffisent plus à la population estivale. Or, est-ce aux habitants à l’année de payer pour de nouvelles infrastructures pour ces trois semaines de la saison touristique ?

À terme, toute l’âme et le caractère de ces territoires seront pervertis. Et c’est aussi une véritable bombe sociale, nous ne sommes pas à l’abri d’un mouvement du type « gilets jaunes » sur le logement. Le sentiment de dépossession est très fort, le logement est une problématique très intime. Il y a déjà des graffitis hostiles, des dégradations, certains mouvements politiques peuvent récupérer cette tension.


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Quelles sont les solutions envisagées ?

Benjamin Keltz : Une seule solution ne changera pas la donne, il faut un cocktail de solutions. Par exemple, il y a la surtaxation des maisons secondaires, même si je pense que cela ne va pas pousser les propriétaires à vendre. Mais au moins, cela rapportera une certaine manne à la commune qui pourra être utilisée pour lutter contre ce phénomène. Par exemple, le maire peut préempter une maison à vendre pour l’acheter, même s’il faut que la commune ait le budget pour cela, et ensuite en faire un logement à l’année. Et puis il y a eu récemment le vote à l’Assemblée nationale d’une loi, portée par une députée bretonne, permettant aux élus de mieux encadrer les locations saisonnières, comme celles de type AirBnB.  Le logement social est aussi une solution très concrète à ce problème, mais il nécessite une vraie volonté politique.

Cependant, il y a une forme de fatalisme chez les élus locaux, qui utilisent encore ces outils avec parcimonie, et certains maires des petites communes n’ont pas l’ingénierie nécessaire pour les mettre en place. Faut-il être plus interventionniste, fixer des quotas ? À mon sens, il faut être volontariste sur la question, il faut un cap politique clair.

Quelles villes ont réussi à endiguer ce phénomène et comment ?

Benjamin Keltz : Je ne connais que la situation en Bretagne, et à ma connaissance, aucune n’a réussi. Le problème ne cesse de progresser, il faut agir au plus vite.

Qu’est-ce qui vous a le plus surpris au cours de votre tour de Bretagne ?

Benjamin Keltz : Le volontarisme et la débrouille de certains élus. Je pense au maire de l’île de Batz, qui va faire du porte à porte auprès des multipropriétaires de l’île pour leur faire accepter que la mairie leur loue leur maison, afin de pouvoir ensuite les sous-louer à l’année à des habitants. Mais ce qui m’a marqué surtout, c’est une forme de bunkerisation. Les résidents secondaires ont acheté un petit coin de paradis et ne veulent plus se mêler aux locaux, alors qu’avant, le fantasme autour des maisons secondaires était précisément de partager la vie des autochtones.

Bretagne secondaire, de Benjamin Keltz, aux Éditions du Coin de la rue

 

Crédit : Drazen Zigic sur Freepik

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