Publié le 20.05.21 - Temps de lecture : 3 minutes

Adieu ville jetable, bonjour ville réversible ?

La crise sanitaire a accéléré la demande de conversion des usages des espaces : ici, des bureaux qu’on souhaite transformer en logements face à une demande galopante, là, des opérations d’immobilier neuf conçues pour s’adapter à la fluidité de la demande. Face à l’adaptation de la ville aux usages durables, la conception “mixte” des bâtiments est-elle en passe de devenir la norme ?

Exemple parlant de cette tendance en pleine progression, le Village des athlètes, qui accueillera les sportifs des Jeux de Paris en 2024, a été conçu pour se transformer, dès la fin des épreuves, en nouveaux quartiers pour les habitants de Seine-Saint-Denis. Ainsi, le secteur E du village, “En héritage”, se veut avant tout un nouveau quartier de vie, de logements, d’activités, de commerces dédié aux habitants de Saint-Ouen, avec une volonté forte de progression de leur qualité de vie. Cela implique une double conception des usages, dès la phase amont, dans une démarche à la fois de lutte contre l’obsolescence, mais aussi de conception des projets en concertation avec les besoins du territoire.

« En quelques mois, nous allons transformer le lot E du Village des Athlètes en 83 logements », explique Vincent Jaulneau-Labarre, architecte associé au cabinet SOA architectes, en charge de la conception de cette partie du site des Jeux de Paris, portée par le groupement Nexity, Eiffage construction, EDF, Groupama et CDC Habitat. Mais la volonté de penser la ville dans toute sa modularité trouve un champ d’application bien plus vaste, et plus que jamais d’actualité.

De l’obsolescence programmée à la construction circulaire

À l’heure de l’urgence environnementale et face à la pénurie de logements, le modèle linéaire, consistant à construire, utiliser et raser les constructions une fois les usages dépassés, a vécu. Ce modèle cède de plus en plus de terrain à des modes de construction caractéristiques d’une ville plus durable, capable de s’adapter à l’évolution des besoins et habitudes de vie. La réversibilité des bâtiments s’impose dès lors comme une solution privilégiée pour les acteurs de la ville.

Certains exemples de transformation, comme celle d’anciens ateliers en lofts ou de locaux industriels devenus commerces et galeries, démontrent qu’il est possible de faire dévier avec succès des constructions de leur fonction initiale. En intégrant cet impératif de circularité à la phase de conception des constructions, le besoin de détruire pour reconstruire disparaît : les bureaux se transforment en logements au prix de quelques modulations mineures, et réciproquement. Ce gain de temps permet non seulement de réduire les coûts, mais également d’améliorer le bilan écologique d’une construction.

Ce processus vertueux implique en amont une adhésion de toutes les parties prenantes. D’un côté, investisseurs, architectes, urbanistes et collectivités locales qui conçoivent des modèles de développement avec une offre innovante, flexible, multifonctionnelle. De l’autre, des services de l’État qui clarifient et harmonisent les normes en la matière – hauteur sous plafond, circulation, sécurité incendie, façades, éléments porteurs, etc. La loi ÉLAN, promulguée en 2019, a même facilité cette évolution en simplifiant la transformation de bureaux en habitations, en créant notamment une nouvelle catégorie de bâtiments, les immeubles de moyenne hauteur (IMH), conçus pour être adaptables et accueillir des usages mixtes. 

La ville réversible, un laboratoire à ciel ouvert

À Paris, la réhabilitation de la Porte de Montreuil, effectuée par Nexity et achevée en 2023, incarne pleinement cette nouvelle philosophie de construction : dans un premier temps destinée à héberger des bureaux, l’opération accueillera à terme des logements, après la future transformation du périphérique en voie de circulation apaisée. 

« La réversibilité des programmes est de plus en plus présente dans les cahiers des charges des villes, observe Vincent Jaulneau-Labarre. Les maires s’en rendent bien compte : la démolition, la reconstruction, cela coûte cher ». 

Car le modèle de construction historique engendre non seulement un coût financier élevé, mais se traduit également par une perte d’attractivité des villes. « Le ‘mono-fonctionnalisme’ des villes (les commerces d’un côté, les bureaux de l’autre, les zones pavillonnaires en périphérique) n’est plus attractif. Il faut donc recréer de la diversité, animer les rez-de-chaussée, mixer les usages… En modifiant les usages d’un bâtiment, on traite toutes les problématiques liées à l’animation d’une rue, et in fine, on change totalement le rapport à l’espace public ». Demain, un pied d’immeuble consacré à l’accueil de logements séniors pourra cohabiter avec des services et des commerces de proximité, tandis que les bureaux seront, eux, situés dans les étages.

Sur les bords de Seine, lieu emblématique des prochains Jeux de Paris, les bâtiments ont été conçus à l’aide de « plans libres » et de « poteaux-dalles », autres noms des outils qui permettront demain de faciliter la reconversion du site. « Le parti-pris du Village des Athlètes, c’est de minimiser les grandes transformations. Dès 2025, nous enlèverons certaines cloisons amovibles pour recréer des salons-salles à manger par exemple ». Les rez-de-chaussée, locaux partagés par les différentes fédérations pendant la compétition, seront à terme réaménagés en commerces et en ateliers, pour donner vie au quartier. Grâce à l’éclairage naturel, les parkings présents sur le site ont eux-mêmes été pensés à l’aune de la réversibilité, afin de ménager des marges de liberté en cas d’évolution future des usages.

Envies de ville : des solutions pour nos territoires

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