Promeneurs dans une rue bordées de commerces d'un centre-ville.
Publié le 02.11.23 - Temps de lecture : 6 minutes

La ville change, le commerce aussi…

Retour sur la matinée organisée par News Tank Cities à Paris le 12 octobre dernier en partenariat avec Accessite et Nexity autour de la question « Commerce et transition urbaine : comment concevoir les nouveaux modèles ? »

Pour échanger sur les mutations du commerce et des zones commerciales, étaient réunis Marie Cheval, Présidente-Directrice générale de Carmila, Philippe Laurent, maire de Sceaux, Cécile Pouzadoux, Directrice de Portefeuille de Redevco France, Alexandre Séjourné, Directeur général d’Accessite, et Hugo Vallée, Responsable du Développement économique de Ville de Villeurbanne

La Ministre déléguée chargée des Petites et Moyennes Entreprises, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme, Olivia Grégoire, a rappelé en ouverture de cette matinée à quel point les zones commerciales « ne sont plus adaptées aux enjeux de notre temps, elles ne sont pas adaptées non plus aux impératifs de la transition environnementale et sociale ». En soulignant que « supprimer ces zones n’était ni faisable, ni souhaitable », elle a invité les différents acteurs représentés par les participants à la table ronde à réinventer ces espaces, à s’emparer des plans d’action pour définir l’aménagement du territoire des années futures à travers de nouveaux modèles.

Si ces vingt dernières années ont été celles du « retail bashing » dans le monde de l’investissement immobilier, on assiste à un changement de paradigme : conséquence plutôt inattendue de la période Covid, le confinement a montré une véritable capacité de résilience du commerce physique, lui offrant ainsi un nouvel avenir. Malgré une conjoncture économique très difficile, les planètes s’alignent aujourd’hui pour engager un mouvement de transformation en profondeur. Les obligations environnementales qui s’imposent, notamment avec le décret tertiaire et qui vont conduire à des rénovations lourdes de bâtiments, l’e-commerce qui invite à reconfigurer le commerce physique, et puis l’enjeu de la ZAN, font qu’on passe d’une logique de consommation du foncier à une logique de recyclage du foncier. En cela, les zones commerciales constituent un gisement éminemment stratégique.

Impossible de concevoir de nouveaux modèles commerciaux, notamment en lien avec les enjeux d’aménagement urbain, sans se pencher d’abord sur ce que veulent les clients.

Marie Cheval, Présidente-Directrice générale de Carmila le résume parfaitement bien : « Expérience, pouvoir d’achat, environnement respecté et nouveauté. Le client veut une bonne expérience et il faut qu’il la retrouve dans le commerce physique. Pour cela, il faut que le commerce se transforme et c’est l’affaire de tous. Nous, nous devons attirer de nouvelles marques, il faut qu’il y ait de l’accessibilité : le parking est important, le vélo c’est bien, mais pour une famille de 4 personnes, le pack de lait à vélo c’est compliqué. La voiture continuera à être importante dans nos villes. Première chose donc, de l’expérience, sur tous types de canaux. Deuxième chose, le pouvoir d’achat. Les enseignes qui se développent aujourd’hui sont des enseignes qui sont très typées pouvoir d’achat, pour les clients malins, parce qu’on veut tous un bon rapport qualité -prix. Troisième chose, le client est de plus en plus sensible à l’environnement, 80% des clients nous disent « il y a un peu trop de béton, il faut que cela soit plus vert ».

Alexandre Séjourné, Directeur général d’Accessite complète « Marie Cheval dit qu’il ne faut plus parler de commerce physique mais de commerce tout court, et elle a raison. Le nouveau commerce va devoir être beaucoup plus personnalisé, plus local, devant s’adapter à la population à laquelle il s’adresse, plus de services, plus d’expérience, il devra être « omnicanal » avec beaucoup plus de digital. Il va se réinventer dans une mixité d’usages, on ne pense plus « on habite dans un endroit A, on travaille dans un endroit B et on consomme dans un endroit C ». D’ailleurs le bel accord entre Nexity et Carrefour participe de cette logique-là et cela devient une magnifique opportunité pour les acteurs du commerce de s’y engager dans les années à venir ».

Chez Redevco, plateforme de gestion d’actifs immobiliers qui se définit comme véritable acteur de transformation des centres-villes, la mixité d’usage est désormais au cœur de tous les projets. « On ne conçoit plus aujourd’hui un lieu avec une seule fonctionnalité mais avec plusieurs fonctionnalités » explique Cécile Pouzadoux, Directrice de Portefeuille de Redevco France. « Ce qu’on s’attache à faire, c’est qu’elles puissent communiquer toutes les unes avec les autres. On ne fait pas de la mixité d’usage pour faire des empilements, mais pour que l’usager ou le consommateur puisse aller d’un usage à l’autre. Comme il va aussi du centre-ville à la périphérie : aujourd’hui il n’y a plus de barrières et tout doit pouvoir communiquer ».


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Une fois intégrées les attentes des consommateurs, les acteurs du commerce sont confrontés à d’autres défis. Plus complexes.

Alexandre Séjourné pose le décor « Aujourd’hui, dans l’immobilier commercial que nous opérons, nous faisons face à 3 obligations :  celle de la transformation environnementale, celle des nouvelles aspirations citoyennes amenées par la révolution du télétravail qui transforme l’usage et l’habitat dans les territoires, et celle de de penser la ville autrement à travers les différentes réglementations comme la ZAN ».

Concernant précisément les contraintes de la ZAN, Marie Cheval tient à poser clairement le sujet : « Nous sommes confrontés à un écueil collectif : ne pas confondre zéro artificialisation et zéro projet. Premier relais de croissance, continuer à se transformer. On ne le fera plus comme avant, parce qu’avant c’était simple, on faisait des m2 sur des champs, ça faisait des loyers en plus et, avec les loyers en plus, on rénovait tout le centre commercial, ça s’est terminé. Nous n’allons pas artificialiser davantage, mais il faut nous permettre de faire des projets en tournant autour de nous-mêmes, sinon l’infrastructure va se dégrader. Deuxième relais, il y a de nouveaux types de commerces : le commerce éphémère, le loisir, la santé. Troisième relais, un peu plus éloigné de notre métier traditionnel : comment utiliser les parkings pour autre chose que du commerce, parkings qui permettent de rentabiliser des mètres carrés déjà artificialisés et sécurisés ».

Ces lieux de vie, explique Cécile Pouzadoux « on ne les conçoit plus du tout sans la collaboration avec les élus et avec les services des villes et des préfectures. On tient compte de l’empreinte carbone et de sa réduction sur nos projets, mais on tient compte également de leur impact social. Aujourd’hui, nous sommes attentifs au nombre d’emplois créés pour tel ou tel projet, et nous mesurons l’amélioration de la qualité de vie des riverains. »

« Ce mouvement ne pourrait se faire sans politique forte » commente Alexandre Séjourné. « Aujourd’hui, elle est là grâce aux plans Action cœur de ville 1 et 2, vrais leviers d’opportunités. On sait que le commerce et l’immobilier c’est du temps long, voire très long, et si, avec la volonté politique, nous avons des outils de simplification, cela va nous permettre de travailler de manière concrète. »

Dans ce mouvement de transformation profonde du commerce, le rôle de la collectivité est évidemment central, en centre-ville comme en entrées de ville.

Particulièrement sensible au sujet depuis longtemps, Philippe Laurent, Maire de Sceaux, revient sur le changement à l’endroit du regard porté par les élus locaux sur ces questions depuis une vingtaine d’années. C’est la raison pour laquelle, avec quelques maires extrêmement attentifs aux évolutions de leur centre-ville, des commerces et des fonctions du centre-ville, il a créé « Centre-Ville en mouvement ». « Il n’y a pas de fatalité concernant le déclin du centre-ville, il y a des choses à faire. Le sujet prend, et on est fiers d’avoir contribué à l’émergence du plan Action Cœur de Ville. Aujourd’hui, les élus, les maires, sont conscients de l’importance des commerces de proximité, de l’importance du centre-ville, et ils sont aussi conscients que les entrées de ville, ça ne peut pas continuer comme ça, c’est un modèle totalement dépassé ».

Sylvain Maisonneuve, Conseiller ministériel en charge du commerce au ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique décrypte certaines des conditions de la réussite. « Quand vous êtes une collectivité, si vous n’avez pas la maîtrise du foncier notamment au niveau financier, vous ne pouvez pas aller bien loin, et même si vous êtes un acteur privé et si vous voulez faire une opération de grande envergure, cela ne peut se faire qu’en concertation avec la collectivité. C’est fondamental. Il faut par exemple qu’il y ait une complémentarité entre le projet d’entrée de ville et le centre-ville ».

Philippe Laurent renchérit sur la nécessité pour une collectivité d’avoir une forme de maîtrise du foncier. « Aujourd’hui, dans une ville comme la mienne, nous achetons les murs commerciaux. C’est une politique que certains trouveront peut-être intrusive, mais nous n’avons pas trouvé d’autres moyens. La préemption des baux, c’est trop compliqué et ça ne donne pas forcément de très bons résultats, alors que la propriété des murs nous engage totalement. Il faut prévoir un partenariat public-privé c’est clair, mais il faut également une participation du public dans le foncier, qui permet une maîtrise idéale ».

Autre exemple, plus ancien encore et qui va dans le même sens, celui de Villeurbanne. Hugo Vallée, Responsable du Développement économique de Ville de Villeurbanne, décrit le modèle atypique de la société villeurbannaise d’urbanisme. Opérateur commercial et bailleur social, la SVU est un outil opérationnel au service de la ville depuis 90 ans. Elle est propriétaire et gestionnaire historique des Gratte-Ciel de Villeurbanne, ensemble architectural iconique, construit dans les années 30 à l’initiative de son maire, et qui constitue le centre-ville de Villeurbanne.

« Le maire de l’époque a cette idée un peu géniale de se dire « je veux créer un centre-ville pour Villeurbanne qui se développe fortement » explique Hugo Vallée. « Il n’y avait rien et on a créé un centre de vie et de commerce de toutes pièces. On le fait à travers une société public-privé et, à l’époque, c’est vraiment une nouveauté. Il a été pensé totalement multifonctionnel avec des logements et des commerces. Aujourd’hui, c’est 150 commerces dans le centre-ville de Villeurbanne, une piscine municipale, une mairie, un théâtre scène nationale. Et tout ça s’est créé d’un bloc en 4 ans. La SVU en est aujourd’hui toujours le gestionnaire et le propriétaire ».

Le dispositif a fait ses preuves et continue de se déployer : « Il y a un programme d’extension du centre-ville de Villeurbanne porté dans le cadre d’une zone d’aménagement concertée, construit par des promoteurs. Mais dès le départ, la métropole de Lyon et la ville de Villeurbanne ont fléché la SVU comme étant l’investisseur unique pour l’ensemble du programme de commerces : la SVU va du coup étendre son patrimoine et continuer de gérer ce centre-ville comme un tout ».

Le mot de la fin qui résume bien les échanges du jour revient à Hugo Vallée : « nous sommes tous d’accord, le nerf de la guerre, c’est la maîtrise foncière. Et le caillou dans la chaussure, c’est la multipropriété. La solution, on l’a tous rappelé, c’est la multifonctionnalité. »

Envies de ville : des solutions pour nos territoires

Envies de ville, plateforme de solutions pour nos territoires, propose aux collectivités et à tous les acteurs de la ville des réponses concrètes et inspirantes, à la fois durables, responsables et à l’écoute de l’ensemble des citoyens. Chaque semaine, Envies de ville donne la parole à des experts, rencontre des élus et décideurs du territoire autour des enjeux clés liés à l’aménagement et à l’avenir de la ville, afin d’offrir des solutions à tous ceux qui “font” l’espace urbain : décideurs politiques, urbanistes, étudiant, citoyens…

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