Une entrée de ville : Strasbourg
Publié le 23.03.23 - Temps de lecture : 5 minutes

« Les entrées de ville sont la nouvelle frontière de l’aménagement urbain »

Directeur du Programme national Action Cœur de Ville au sein de l’Agence nationale pour la Cohésion des Territoires (ANCT), le Préfet Rollon Mouchel-Blaisot revient pour nous sur la prolongation du programme et sur l’attention désormais portée à la transformation des entrées de ville.

Le 20 février dernier, 5 ans après le lancement d’Action Cœur de Ville, le Gouvernement donnait le coup d’envoi d’une nouvelle initiative visant, cette fois, la transformation des entrées de ville. Faut-il y voir une réorientation ou au contraire un prolongement du chantier engagé en 2018 ?

Rollon Mouchel-Blaisot : La requalification des entrées de villes s’inscrit en droite ligne dans la dynamique engagée depuis 2018. Le programme national Action Cœur de Ville, qualifié de « politique prioritaire du gouvernement » (PPG) et rattaché à l’ANCT à sa création en 2020, répond à un choix politique d’investir prioritairement dans les centres-villes pour le développement et l’attractivité des villes moyennes qui exercent une fonction irremplaçable de centralité pour l’ensemble de leur territoire. En 5 ans, 6 422 actions concrètes et 6 milliards d’euros ont été engagés pour les 234 communes ACV, grâce au soutien de l’État et de ses partenaires financiers (ANAH, Banque des Territoires, Action Logement). Avec ACV2, l’offre du programme s’étoffe, mettant plus d’ingénierie opérationnelle au service des collectivités ACV et s’élargit désormais aux quartiers de gare et aux entrées de ville, comme préconisé par le président de la République en clôture de la 4e Rencontre nationale des maires ACV le 7 septembre 2021, à la Cité de l’architecture et du patrimoine.

ACV veut amplifier sa contribution à la transition écologique sous tous ses aspects. Pour cela, il faut penser les villes et leur aménagement urbain dans leur ensemble ; cela passe notamment par une action déterminée contre les vestiges d’un grave laissez-faire ces cinq dernières décennies en matière d’aménagement urbain. Cette préoccupation récente est liée à une prise de conscience partagée à la fois esthétique, économique et écologique. Il est aujourd’hui nécessaire d’agir avec plus de cohérence entre le centre-ville, les quartiers de gare et les entrées de villes, dans un impératif de sobriété foncière et d’usages. Je crois sincèrement que la requalification de nos entrées de ville et d’agglomération, au potentiel foncier résidentiel, économique et industriel considérable, constitue en quelque sorte la « nouvelle frontière » de l’aménagement urbain qui doit tous nous mobiliser.


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Avec quelles ambitions abordez-vous cette nouvelle mission ?

Rollon Mouchel-Blaisot : Le dispositif Entrées de ville répond à 4 priorités :

  • favoriser le développement urbain selon le principe de la sobriété foncière et lutter contre l’artificialisation des sols ;
  • embellir nos entrées de ville en améliorant leur qualité architecturale, urbaine et paysagère ;
  • accompagner les évolutions du secteur commercial et des modes de consommation ;
  • diversifier les fonctions urbaines de ces zones, de la renaturation à la réindustrialisation ;

La question commerciale est centrale dans les entrées de ville mais de nombreux enjeux transversaux sont également concernés : requalification urbaine, diversification des usages, accueil de logements, d’équipements ou de nouvelles activités économiques et industrielles, désartificialisation voire renaturation de certains espaces, dans une logique de sobriété foncière, d’insertion paysagère, de qualité architecturale et urbaine et de décarbonation des mobilités…

Le dispositif Entrées de ville s’inscrit ainsi dans l’objectif de sobriété foncière de la loi Climat et Résilience de 2021. Nous devons faire l’inverse de ce qui a été fait jusqu’ici, à savoir des zones monofonctionnelles, artificialisées à outrance, reposant uniquement sur une mobilité carbonée, avec souvent un modèle commercial dépassé et une désespérante banalisation architecturale et paysagère.

Dans l’imaginaire collectif, les entrées de ville sont souvent décrites comme participant de la « France moche », faite de zones monofonctionnelles, réservées à la voiture et peu végétalisées. Que vous inspire ce constat et comment cela peut-il changer ?

Rollon Mouchel-Blaisot : Pour évoquer ces entrées de ville, je parle souvent de l’image des « boîtes à chaussures », des hangars en tôle qui se succèdent, alignés sur des kilomètres, entrecoupés de grands panneaux publicitaires multicolores et de parkings géants. Ce modèle est aujourd’hui révolu.

Notre initiative Entrées de villes est née d’un constat : les entrées de ville ont souffert pendant des décennies du développement soutenu de zones monofonctionnelles, mal-articulées entre elles et avec les centres-villes et accordant une place prépondérante à la voiture. Aujourd’hui, ce modèle de développement n’est plus soutenable écologiquement, économiquement et socialement. Enjeu de requalification des entrées de ville et enjeu de redynamisation des cœurs de ville sont intimement liés : depuis plusieurs décennies, les centres-villes se désertifient, les commerces déménagent en périphérie dans de grandes zones commerciales bétonnées et de vastes zones entre ville et campagne se développent, sans harmonie ni cohérence.

Action Cœur de Ville 2 poursuit donc l’ambition de freiner et même stopper les logiques d’étalement urbain, qui ne sont plus compatibles avec l’objectif Zéro Artificialisation Nette pour 2050 (loi Climat et Résilience de 2021). Ces espaces péri-urbains représentent cependant de grandes opportunités foncières : de cette question des entrées de ville découle également la question de la transition écologique : artificialisation, îlots de chaleur, faible performance énergétique et donc faible résilience de ces espaces. De même, les mutations des pratiques, des mœurs et des modes de vie impliquent des changements dans les pratiques commerciales, les aspirations, les mobilités, qui vont impacter ces zones peu attrayantes. Le moment est donc venu pour tous les acteurs de se fédérer sur cette priorité nationale afin d’avancer tous ensemble pour reconquérir nos paysages, nos patrimoines et tout ce qui fonde l’identité de chaque territoire.

A quel accompagnement et à quel soutien les élus locaux désireux de voir retravaillées leurs entrées de ville peuvent-ils s’attendre ? 

Rollon Mouchel-Blaisot : Les élus des collectivités retenues pourront bénéficier d’un soutien méthodologique, technique et financier pour les accompagner dans la reconquête de leurs entrées de ville. Il faudra agir dans la durée, chaque situation étant particulière donc il faut un dispositif à la carte.

Les collectivités soucieuses de la requalification de leurs entrées de ville pourront s’appuyer ainsi sur plusieurs outils :

  • Accès à un fonds de requalification des zones commerciales de périphérie doté de 24M d’euros cogéré par l’ANCT et le ministère chargé du commerce.
  • Accompagnement de la Banque des Territoires pour des projets pilotes de restructuration d’entrées de ville initiés par les collectivités du programme.
  • Appui technique de la Direction Générale de l’Aménagement, du Logement et de la Nature (DGALN) et du CEREMA afin de mieux prendre en compte ces espaces dans les documents d’urbanisme et partager des projets architecturaux réussis.
  • Poursuite de la démarche Repenser la périphérie commerciale lancée en 2017 par la DGALN et le CEREMA pour travailler à des solutions concrètes de transformation des périphéries commerciales dans toute leur diversité.
  • Interventions des architectes et paysagistes conseils de l’État pour des prestations dédiées en vue de garantir l’objectif d’amélioration de la qualité architecturale, urbaine et paysagère de nos entrées de ville.

D’autre part, j’ai plaidé pour que nous constituions une « task force » interservices d’appui aux collectivités qui seront confrontées aux complexités juridiques de nombreuses procédures à mettre en œuvre pour traiter ces espaces. Déjà, 45 villes ACV sont volontaires pour s’engager dans cette démarche. Ces territoires-pilotes vont bénéficier de ce dispositif et, plus généralement, d’un Guide pratique que nous sommes en train d’élaborer pour aider les collectivités. Nous avons démarré le recensement des bonnes pratiques car il est précieux et nécessaire de pouvoir capitaliser sur leurs enseignements et qu’ils soient profitables à tous. Un Cercle des entrées de villes permettant d’associer toutes les collectivités intéressées avec les administrations, opérateurs et milieux professionnels, dans un objectif de partage d’expériences, des bonnes pratiques et difficultés sera également constitué. Ce modèle de gouvernance, s’inspirant de celui mis en place pour les Territoires pilotes de sobriété foncière par ACV, est particulièrement apprécié des élus, vertueux et productif.

À l’heure où la fabrique de la ville repose de plus en plus sur la collaboration entre acteurs publics et privés, quelle participation attendez-vous plus singulièrement du secteur privé ?

Rollon Mouchel-Blaisot : En effet, la fabrique de la ville de demain repose plus que jamais sur la collaboration public/privé dans des contextes complexes et multi-dimensionnels. Chaque acteur a un rôle majeur à jouer dans la requalification des entrées de ville. Il convient de s’appuyer sur l’ensemble des dispositifs existants et d’agir ensemble, main dans la main. Sur le sujet de la requalification des entrées de ville, une impulsion est aujourd’hui donnée par l’État, aux acteurs privés de prendre la balle au bond en investissant dans ces zones négligées. L’initiative Entrées de ville a pour ambition d’agir comme un accélérateur de projets.

Les acteurs privés se doivent ainsi, avec leur expertise, d’être force de proposition, par exemple à travers les appels à projet proposés par les collectivités territoriales. Il faut favoriser l’innovation, impulser des dynamiques fructueuses économiques et écologiques, créer de nouvelles formes innovantes et novatrices de développement, d’aménagement et d’occupation de l’espace.

Les financements publics mis en place par l’État et ses partenaires (CdC/Action Logement/ANAH) constituent en quelque sorte un « fonds d’amorçage » devant inciter les investisseurs privés à transformer l’essai pour reprendre une formule rugbystique. Au-delà de collectionner des labels verts, les grands acteurs privés doivent agir et investir dans ces territoires à projet et contribuer ainsi, concrètement, à coconstruire des villes à taille humaine auxquelles nos concitoyens aspirent profondément.

Envies de ville : des solutions pour nos territoires

Envies de ville, plateforme de solutions pour nos territoires, propose aux collectivités et à tous les acteurs de la ville des réponses concrètes et inspirantes, à la fois durables, responsables et à l’écoute de l’ensemble des citoyens. Chaque semaine, Envies de ville donne la parole à des experts, rencontre des élus et décideurs du territoire autour des enjeux clés liés à l’aménagement et à l’avenir de la ville, afin d’offrir des solutions à tous ceux qui “font” l’espace urbain : décideurs politiques, urbanistes, étudiant, citoyens…

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