L’AUC intervient sur la reconversion de l’ancienne école de la marine marchande à Sainte-Adresse en quartier de ville (©ArtefactoryLab)
Publié le 01.12.22 - Temps de lecture : 4 minutes

Djamel Klouche : « La mixité est un savant équilibre »

Image : L’AUC intervient sur la reconversion de l’ancienne école de la marine marchande à Sainte-Adresse en quartier de ville (©ArtefactoryLab). Portrait de Djamel Klouche par ©Antoine-Espinasseau.

Co-fondateur de l’agence AUC, lauréate du Grand Prix de l’urbanisme 2021, Djamel Klouche a accompagné nombre de projets urbains en conciliant densité et cadre de vie, régénération de l’existant et mixité fonctionnelle. Il intervient notamment sur la reconversion de l’ancienne Ecole nationale de la Marine Marchande à Sainte-Adresse, projet porté par Nexity après une consultation remportée en 2021 par Villes & Projets, Nexity Transformation des Territoires, Nexity Apollonia et Nexity IR Normandie. Comment favoriser la mixité en ville ? Quel retour d’expérience sur les projets pilotes ? Quel(s) levier(s) pour les acteurs de la fabrique urbaine ? L’architecte et urbaniste affirme ses convictions.

Quelle est votre vision de la mixité en ville ?

Djamel Klouche : La mixité en ville renvoie, selon moi, à la ville européenne qui, par nature, dessine une atmosphère de cohabitation, de coexistence, dans un périmètre relativement resserré. C’est cette atmosphère-là que j’appelle mixité : des individus d’origines et de classes différentes, des jeunes et des plus âgés qui y habitent, travaillent, font des achats, ont recours aux services, aux équipements publics et aux infrastructures de mobilité. Tout cela contribue à créer un univers urbain hétérogène stimulant.


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Quelles formes peut prendre la mixité dans la ville ?

Djamel Klouche : Ce qui me semble important, c’est de concevoir une ville diverse et désirable, dans laquelle chacun d’entre nous peut satisfaire ses intérêts. Il s’agit d’un équilibre assez savant entre densité et diversité, variables auxquelles il faut aujourd’hui ajouter celle de l’environnement, la question du durable, de l’écologie. C’est un moyen de répondre aux aspirations des citoyens à retrouver la mixité qu’ils désirent. La ville mixte se décrète d’abord à l’échelle d’un écosystème urbain, et peut se décliner ensuite à l’échelle du bâtiment à travers une superposition horizontale ou verticale de fonctions. Dans tous les cas, la ville est extra-locale et se saisit par le territoire d’appréhension, le sentiment d’appartenance qui est potentiellement très large. La mixité se joue aussi dans les jeux d’échelles, entre l’îlot et le grand territoire, qu’elle contribue à dessiner.

Quid de la mixité environnementale ?

Djamel Klouche : Aujourd’hui, et demain encore davantage, les futurs habitants sont désireux d’habiter sain, écologique et durable. La question de l’environnement constitue une nouvelle couche dans la fabrique du projet, qui doit être présente très en amont dans la conception, à l’instar de la densité, de la programmation et de la forme architecturale. Ce n’est pas encore systématiquement le cas aujourd’hui. Pourtant, cette attention au « E » comme environnement pose des questions d’usages, de modes de vie, de carbone, d’îlots de chaleur et de place de la nature en ville. Il n’y a, finalement, pas de recette miracle, mais plutôt un équilibre à trouver, dans le cadre de chaque projet, pour produire une opération qui a du sens à toutes les échelles. Je pense qu’un projet qui n’est pas contributif au grand territoire n’est pas un projet environnemental.

Dès lors que l’on travaille sur la transformation d’un objet urbain existant, la question de la densité ne se pose plus puisqu’elle est déjà acceptée.

Quels sont les projets de bâtiments dans lesquels vous avez pu développer votre vision de la mixité ?

Djamel Klouche : Aux autres éléments participant de la désirabilité, que je mentionnais précédemment (densité, diversité et environnement), il faut ajouter la transformation. Dès lors que l’on travaille sur la mutation d’un objet urbain existant, la question de la densité ne se pose plus puisqu’elle est déjà acceptée. Deux exemples illustrent cette approche de l’AUC.

D’abord, nous contribuons à la transformation des tours WTC 1 et 2, dans le Quartier Nord à Bruxelles, pour les densifier et y introduire une diversité de fonctions. Complété par un nouveau volume qui relie les deux tours, il s’agit d’un univers urbain dans lequel on trouve des logements, du bureau, un hôtel, des cafés et restaurants, ainsi que des espaces végétalisés à l’origine d’une réintroduction de la nature. Ce complexe, auparavant obsolescent et monofonctionnel, devient un projet mixte, durable, connecté à un hub de transports et au quartier culturel du Canal.

Je pense également au projet porté par Nexity à Sainte-Adresse, près du Havre, qui entretient un rapport au paysage assez singulier, avec des vues panoramiques spectaculaires sur l’estuaire de la Seine. En conservant le bâtiment central de l’ancienne école de la marine marchande, nous avons souhaité introduire de la mixité sociale (30 % de logements aidés), une offre culturelle en pied d’immeuble, des services, des commerces, une crèche et un espace public généreux. Le projet constitue un véritable quartier de ville, empreint des caractéristiques de l’urbanité contemporaine : densité, diversité, environnement et transformation.

Quels sont, selon vous, les quartiers ou les villes qui font office de modèles en matière de mixité ?

Djamel Klouche : Les villes européennes, mais aussi les villes asiatiques, sont des exemples existants d’ensembles urbains mixtes. Dans les nouvelles opérations, nous analysons les mécanismes structurants et les réinterprétons de façon contemporaine. S’il ne faut pas perdre le génotype de la ville européenne, par nature dense et mixte, il y a aujourd’hui de nouvelles données à inclure dans l’équation, comme la ZAN, qui redéfinissent ce qui fait l’objet urbain mixte.

La mixité urbaine répond aux enjeux des crises que nous traversons.

Comment les élus peuvent-ils contribuer à l’émergence de cette mixité que vous appelez de vos vœux ?

Djamel Klouche : Les élus font face à une double injonction : celle des habitants d’une part, qui tendent à rejeter les constructions et, dans les villes en tension résidentielle, une injonction de l’État à construire des logements et équipements publics. Aussi, la crise climatique pousse les acteurs à adopter une posture attentiste, car elle bouscule toute la chaîne de valeur sur laquelle les équilibres étaient fondés. Je suis convaincu que les habitants ne rejettent pas la construction au sens large, mais plutôt les opérations que l’on voit émerger depuis 20 ans.

C’est pourquoi les élus doivent s’engager en faveur de la qualité urbaine, architecturale, environnementale et en faire la démonstration sur des projets pilotes. Il est possible de concilier cet objectif de qualité et la nécessité de construire, d’aménager l’espace public, d’apporter des services et des équipements publics. Enfin, les stocks de la ville existante sont mobilisables pour construire des quartiers écologiques, mixtes et désirables. Les projets conçus de façon autonome ne peuvent fabriquer une urbanité à leur seule échelle. Ce qui a du sens, c’est de créer à partir de et en lien avec l’existant.

Dans quelle mesure la mixité urbaine contribue-t-elle au bien-vivre ensemble ?

Djamel Klouche : Tout n’est pas mixte dans l’absolu. Il y a des pics de mixité, mais aussi des individus qui cherchent le moins urbain. Je pense néanmoins que le plus urbain, le plus dense et le plus divers répond aux enjeux des crises que nous traversons. La ville mixte et dense favorise le vivre-ensemble, car la probabilité de rencontrer les autres y est plus élevée. On parle beaucoup actuellement d’un pseudo rejet de la ville, les mots sont importants. C’est surtout l’absence d’urbanité produite ces 20 dernières années qui est en cause, et non la ville au sens noble. Il faut redonner envie d’y vivre.

Le risque est, alors, d’accepter la médiocrité de projets conçus comme des objets autonomes, sans connexion avec les sociétés urbaines environnantes. Au contraire, le projet doit augmenter, enrichir l’écosystème existant. Pour ce faire, il faut redonner des moyens à la réflexion sur la genèse de la ville, à l’étude de la complexité et des relations à l’environnement très en amont des projets, sans lesquelles on ne peut bâtir une vision prospective environnementale et fédératrice. C’est le rôle de l’architecte et de l’urbaniste que de produire cette analyse. La fabrique de la ville doit s’incarner dans une géographie, un récit d’avenir. Cela suppose de renverser les méthodes, partager la connaissance et favoriser l’expérimentation.

Envies de ville : des solutions pour nos territoires

Envies de ville, plateforme de solutions pour nos territoires, propose aux collectivités et à tous les acteurs de la ville des réponses concrètes et inspirantes, à la fois durables, responsables et à l’écoute de l’ensemble des citoyens. Chaque semaine, Envies de ville donne la parole à des experts, rencontre des élus et décideurs du territoire autour des enjeux clés liés à l’aménagement et à l’avenir de la ville, afin d’offrir des solutions à tous ceux qui “font” l’espace urbain : décideurs politiques, urbanistes, étudiant, citoyens…

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