Publié le 07.01.21 - Temps de lecture : 4 minutes

Ville-forêt : « nous avons du chemin à faire sur l’acceptabilité de la nature en ville »

L’attractivité de la métropole de Bordeaux n’a jamais été aussi forte : plus de 55.000 habitants se sont installés dans les 28 communes qui bordent les rives de la Gironde depuis 2011. À mesure que le nombre de citadins s’accroît, la métropole tente de limiter l’étalement urbain avec un objectif fort : zéro artificialisation nette. Grâce à des politiques publiques qui privilégient la renaturation et à un ambitieux programme de plantations d’arbres, la métropole bordelaise aspire à protéger son patrimoine naturel. Andréa Kiss, vice-présidente en charge de la voirie et des espaces publics, nous détaille les ambitions de Bordeaux Métropole pour accueillir de nouveaux habitants en préservant les sols.

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Quelle place occupe aujourd’hui la nature dans les projets d’aménagement de la Métropole de Bordeaux ?

La place accordée à la nature a été historiquement importante sur l’agglomération, notamment parce que la nature y est beaucoup plus présente qu’on ne l’imagine. Il y a un paradoxe assez notable : la ville de pierre regorge de jardins privés mais l’espace public est peu verdoyant, hormis quelques grands parcs ou places végétalisées. Mais dès que l’on sort de la ville-centre, on retrouve très vite de grands espaces de nature sur les 2 rives : parc des Coteaux et presqu’île rive droite, parc des Jalles et plateau forestier rive gauche… La banlieue est aussi plus pavillonnaire, avec des jardins qui verdissent l’espace.

Il a néanmoins fallu attendre les projets “50.000 logements” et “55.000 ha pour la nature” pour une prise de conscience collective de l’importance de la nature dans l’aménagement urbain. Nous venons de lancer le projet « 1 million d’arbres » : il va accompagner les villes mais aussi les particuliers pour aller encore plus loin dans la végétalisation des espaces publics et privés.

Comment se positionne la Métropole de Bordeaux par rapport à l’objectif national « Zéro artificialisation nette » ?

Il y a une forte volonté du nouvel exécutif métropolitain de tendre vers cet objectif ambitieux et louable. Néanmoins, l’attractivité de Bordeaux Métropole a fortement tendu le marché immobilier : le déficit concerne tous les types de logements, qu’ils soient privés ou en locatif social et la Métropole est carencée dans ce domaine. Il en va de même dans le domaine économique.

Nous sommes sur une ligne de crête : comment continuer à produire du logement pour tous, des locaux pour les entreprises et des équipements publics pour répondre aux besoins des habitants sans artificialiser ? Une des voies consiste à reconstruire la ville sur elle-même, à densifier, tout en gardant le maximum de surface en pleine terre, en végétalisant des toitures et en débitumant là où c’est possible. 

Le PLU est aussi un outil fondamental à cet égard : on peut changer des zonages pour basculer des terrains à urbaniser en zone agricole ou naturelle. 

En quoi la renaturation apparaît comme une solution durable pour aider les villes à aller vers plus de sobriété ?

Renaturer, c’est faire baisser la température en éliminant les îlots de chaleur, donc éviter de climatiser alors que nous subissons un réchauffement climatique. Cette dernière solution est la pire qui soit, en rejetant de l’air à près de 50° nous réchauffons directement l’atmosphère. Les arbres sont bien plus efficaces et nettement plus agréable !

Renaturer, c’est aussi permettre de mieux gérer les eaux pluviales en favorisant un écoulement via la désartificialisation : on alimente la nature (plantes, nappes phréatiques) via une infiltration douce, par exemple grâce à des noues, plutôt que des tuyaux. Avec les épisodes de pluie assez violents que nous subissons et qui étaient anecdotiques il y a encore 20 ans, c’est une nécessité pour éviter des travaux très lourds d’évacuation de ces eaux de pluie.

Dans votre commune ou au sein de la Métropole de Bordeaux, avez-vous des exemples concrets d’espaces urbains sur lesquels la renaturation pourrait être stratégique au cours des prochaines années ?

Il y en aurait plein : les parkings des grandes surfaces, de l’aéroport, des entreprises en général … Nombre de placettes, de giratoires (souvent assez moches) ou d’avenues pourraient accueillir davantage de végétation et changer profondément la qualité de vie et l’attrait de la vie urbaine. On sent aussi un mouvement de fond sur le retour de la nature dans les cours des établissements scolaires.

Si la renaturation est aujourd’hui bénéfique sur le plan écologique et social pour les riverains, comment doit-on procéder pour végétaliser les espaces urbains ?

La végétalisation des espaces urbains est souhaitable mais hélas pas toujours possible ou en tout cas, parfois compliquées du fait des réseaux en particulier. Dans l’absolu, l’idéal aurait été de prévoir de la végétalisation dès la conception des projets. Quand on intervient a postériori, c’est toujours plus contraint.

Connaissez-vous la méthode du biologiste japonais Akira Miyawaki qui fait pousser des forêts résilientes sur des sols dégradés ? Que pensez-vous de la plantation de micro-forêts en ville ? Quels sont ses apports pour les habitants ?

Les micro-forêts Miyawaki sont très pertinentes, notamment pour renaturer des délaissés. Elles offrent une alternative au déficit en arbres dans certains secteurs. Nous nous y intéressons  de près, à Bordeaux Métropole : plusieurs projets sont en cours, que ce soit dans des zones urbaines très minérales mais aussi sur le périmètre de l’Opération d’Intérêt Métropolitain Bordeaux Aeroparc. Nous avons encore peu de recul sur ce que vont nécessiter ces micro-forêts en termes d’entretien et la valeur ajoutée à long terme. C’est une expérience qui mérite d’être tentée et qui sera complémentaire à des plantations plus traditionnelles, comme les arbres d’alignement.  

Que pensez-vous du concept de ville-forêt, qui permettrait de réduire son empreinte carbone et d’améliorer la qualité de l’air extérieur grâce aux végétaux ? Est-ce un modèle viable pour les villes de demain ?

Sur le papier, cela semble très séduisant. Néanmoins, les premiers retours montrent que les villes-forêts peuvent aussi présenter des nuisances fortes : devenir incontrôlables ou favoriser le développement d’insectes en grand nombre. Les urbains veulent de la nature, mais sans les inconvénients. On le constate sur les espaces verts qui sont traités en gestion différenciée : si ce n’est pas tondu comme un gazon de golf, les habitants râlent et développent des peurs sur les serpents, rouspètent contre les orties, etc. Que dire des feuilles qui tombent à l’automne… Bref, nous avons encore du chemin à faire sur l’acceptabilité de la nature en ville !

Quels sont d’après vous les prérequis pour relever le défi de la désimperméabilisation des villes ?

En tant que Vice-Présidente en charge de la Voirie et des Espaces Publics, je réponds : la gestion des réseaux souterrains ! La désimperméabilisation et la plantation d’arbres se heurtent souvent à cet écueil. Il faut aussi tenir compte des prescriptions pour l’accessibilité de la voirie. Il faut un choix judicieux d’espèces qui sauront relever le défi du changement climatique, sans soulever les trottoirs en les rendant impraticables pour les seniors ou les personnes à mobilité réduite.

L’adhésion des riverains est aussi fondamentale car la renaturation implique assez régulièrement la suppression de places de stationnement ou de l’enrobé, ce qui n’est jamais très populaire. Dans l’absolu, l’idéal est de pouvoir les associer dans la réflexion au plus tôt. Quand on propose de renaturer avec des aménités (mobilier urbain, points d’eau, jeux pour enfants…), les habitants comprennent vite l’intérêt de ces projets pour leur vie quotidienne.

En quoi est-il important de communiquer auprès des habitants dans le cadre d’un projet de renaturation?

Pour les raisons évoquées au-dessus mais aussi parce que les habitants peuvent s’en emparer : participer à la conception des lieux, se les approprier et devenir acteurs en prenant en charge la surveillance et l’entretien par exemple. Ces projets, même modestes, sont aussi de formidables vecteurs de lien entre voisins et entre générations ou bien d’excellents supports d’apprentissage pour les enfants. L’exemple du fleurissement des pieds de murs est très parlant.

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