Publié le 15.07.21 - Temps de lecture : 5 minutes

Comment les villes côtières font face à la montée des eaux ?

Le réchauffement climatique n’invite pas seulement à changer nos pratiques pour favoriser la résilience et la durabilité de nos modèles de développement. Il suppose aussi d’avoir identifié les risques et d’adapter l’existant. C’est particulièrement vrai pour les villes côtières de basse altitude dont les populations, bâtiments et activités sont menacés par la hausse du niveau des mers. Quelles protections imaginent-elles pour se protéger face aux inondations et risques de submersion ? Pourront-elles résister sur le long terme ? Zoom sur l’état des connaissances et les solutions mises en œuvre ou à l’étude.

L’élévation du niveau de la mer

D’après les experts, d’ici 2050, plus de 570 villes côtières situées à basse altitude devront faire face à une élévation du niveau des mers et océans d’au moins 0,5 mètre. Cette hausse pourrait même dépasser 1 mètre à la fin du siècle. En conséquence, plus de 800 millions de personnes habitant leurs aires urbaines seront exposées à des risques d’inondation, de submersion et de tempête. Des phénomènes qui menaceront, en plus des hommes, l’ensemble de l’écosystème urbain, des logements aux commerces en passant par les réseaux d’énergie, de transport et de communication.

L’élévation du niveau marin est une conséquence directe du réchauffement climatique. D’abord parce qu’une eau plus chaude occupe un volume plus important. C’est ce qu’on appelle la « dilatation thermique ». Ensuite, parce qu’en fondant, les glaces viennent accroître la quantité d’eau à l’état liquide dont regorge la planète. Mais les dérèglements du climat ne sont pas seuls en cause.

Les activités humaines (pompage des eaux souterraines, extraction de pétrole, de gaz ou de sable…) concourent à affaisser les côtes et à accélérer l’exposition des villes aux menaces d’une montée des eaux. Au cours du XXe siècle, Tokyo s’est ainsi affaissé de 4 mètres quand Shanghai, Bangkok, Jakarta ou nombre de villes côtières de la Nouvelle-Orléans aux États-Unis ont vu leur altitude baisser de 2 à 3 mètres. Dans les territoires concernés, les élus sont donc appelés à prendre des décisions de taille, qui conditionneront l’avenir de la collectivité. Ci-dessous, nous vous présentons 4 solutions d’ores et déjà mises en œuvre ou en projet pour faire face à la hausse du niveau de la mer.

Installer des digues partout ?

D’une longueur de 2 kilomètres, la digue de Saint-Malo est protégée par des brise-lames.

L’une des solutions couramment envisagées est la construction de digues pour ralentir en partie la hausse du niveau de l’eau, ou l’installation de brise-lames pour casser les vagues et réduire leur avancée sur les terres. Ces techniques ne sont pas nouvelles. Au large de Saint-Malo, on compte ainsi quelque 3000 brise-lames associés à la digue qui protègent la ville bretonne des tempêtes et grandes marées depuis près de deux siècles. Mais les champions en la matière sont certainement les Hollandais, depuis longtemps engagés dans un jeu d’équilibriste avec la mer. Sur 880 kilomètres du nord au sud, le littoral des Pays-Bas totalise ainsi plus de 22 000 kilomètres de digues. 

Et les projets se multiplient dans les grandes villes notamment à Venise, en Italie, joyaux d’architecture et d’urbanité sur l’eau dont on connaît la fragilité. Là-bas, le projet MOSE est en cours de déploiement depuis plus de 15 ans. Son objectif : construire 78 digues flottantes qui pourront se lever pour fermer la lagune en cas d’augmentation du niveau de la mer Adriatique. Pour l’heure, le projet ne cesse d’être retardé. 

Plus globalement, les digues ont leurs limites. “Les scénarios les plus récents prévoient à l’horizon 2100 une augmentation du niveau de la mer de +43 cm (si on atteint la neutralité carbone) et de +84 cm (dans un scénario « business as usual »), voire de +110 cm dans le cas le plus pessimiste. En 2200, l’hypothèse la plus inquiétante dépasse les +3 m !, rappelle le chercheur en géologie marine Eric Chaumillon. Allons-nous continuer à élever les digues et à maintenir ainsi des régions à plusieurs mètres sous le niveau de la mer ?”, questionne-t-il. 

La ville-éponge, un concept qui se répand

C’est ainsi que de plus en plus d’experts et de décideurs se penchent sur des solutions alternatives dites de « résilience naturelle ». Parmi elles, Eric Chaumillon cite la dépoldérisation :  « Il s’agit de laisser la mer ré-inonder des espaces littoraux bas, soit en laissant ouverte une brèche occasionnée par une tempête, soit en créant artificiellement une ou plusieurs brèches ». Cela permet notamment de re-sédimenter des zones basses pour qu’elles s’élèvent au niveau de la mer, mais aussi de disposer de zones utiles pour déverser les eaux en cas de crue par exemple.

Au cœur des villes, les initiatives se multiplient pour rendre les rues et bâtiments plus perméables. C’est le cas à Rotterdam par exemple, dont 80% de la superficie se trouve sous le niveau de la mer. Comme en témoigne le maire Ahmed Aboutaleb, « les villes sont des véritables jungles de béton. L’eau ne peut plus pénétrer les sols, l’artificialisation s’étend désormais au moindre mètre carré. Nous devons donc investir dans la végétalisation des murs et toitures, dans les parcs et jardins pluviaux, etc ». De quoi mettre en œuvre un concept né en Asie : celui de ville-éponge, une ville capable d’absorber mieux des quantités d’eau qui pourraient se déverser sur elle, et de mieux les stocker pour faire face aux périodes de sécheresse.

À Jakarta, ancienne capitale indonésienne déjà menacée de couler sous les flots, en plus d’un plan directeur de mur de défense maritime, la municipalité a lancé un vaste programme : Kampung Climate. Les espaces verts devront à terme représenter 30% de la superficie de la ville. De quoi réduire le temps d’absorption et de recul des eaux lors d’inondations à quelques heures au lieu de deux ou trois jours. 

Vers des villes flottantes ?

Le quartier flottant d’Amsterdam, Ijburg, a vu le jour en 2013.

Parallèlement à ces solutions, de plus en plus de villes projettent leur existence sur l’eau. L’expérience acquise aux Pays-Bas, à Amsterdam et Rotterdam en particulier, est étudiée avec attention et fait l’objet de projets d’adaptation locaux pour bâtir des quartiers flottants et développer une économie associée à l’eau.
À l’image du quartier de Ijburg, à Amsterdam, où 18 000 maisons accueillant 45000 personnes flottent telles des navires, des territoires entiers pourraient perdurer non pas en combattant l’élévation du niveau des eaux mais en en faisant un nouveau levier de développement.

Les experts néerlandais sont appelés en renfort en Indonésie ou en Louisiane. Là-bas, le sud de l’État perd en terre l’équivalent d’un terrain de football chaque heure et demie. Grâce à des solutions dites «Float and fill», il est désormais possible « de déplacer les communautés résidentielles et les activités d’agriculture aquatique sur des îles flottantes technologiquement intégrées qui s’adaptent à des niveaux d’eau variables », rapporte le Deep Blue Institute, engagé à faire de l’estuaire de Louisiane une région pilote en matière d’adaptation à la montée des eaux, à travers le projet Bleu Tech Delta.

Mutualiser pour mieux s’adapter : zoom sur le projet Sea’ties

Aussi prometteuses qu’elles puissent paraître, toutes ces solutions ne suffiront peut-être pas à moyen et long terme. Du moins dans certaines villes déjà trop exposées. Ainsi certaines d’entre elles planifient déjà des déplacements de populations ou les encouragent. Pour Stéphane Costa, professeur à l’université de Caen et co-président du « Giec normand » (constitué d’experts régionaux spécialistes du climat), une des alternatives consiste à « déplacer les biens et les activités des personnes dans des zones à moindre risque et non inondables ».

C’est bien le chemin pris à plusieurs milliers de kilomètres au sud de l’Hexagone, dans l’ancienne capitale tanzanienne de Dar es Salaam. « La réponse à l’élévation du niveau de la mer et aux inondations s’est concentrée sur la restriction de la construction dans les zones à risque d’inondation afin de réduire la propagation des établissements informels vulnérables, rapporte le C40 Cities Climate Leadership Group. Pour ce faire, les droits de propriété dans les zones moins vulnérables ont été officialisés pour inciter les familles à évacuer les quartiers exposés aux inondations ».

L’élévation du niveau des mers contraint les villes côtières et les États concernés à investir et à faire des choix d’ampleur. Et pour cela, il vaut mieux être bien informé et soutenu. C’est tout le sens de la démarche lancée par la plateforme Océan & Climat avec le projet Sea’ties : créer un espace d’échange d’expériences de solutions durables entre les villes de taille moyenne du globe pour co-concevoir la ville côtière de demain.

« À travers le monde, de nombreuses solutions sont déjà mises en œuvre et peuvent inspirer d’autres territoires. Mettre en relation ces expériences concrètes et les caractériser à la lumière de travaux scientifiques permet de promouvoir les pratiques les mieux adaptées et d’accompagner le choix des décideurs politiques et des gestionnaires des territoires », peut-on lire sur le site internet de l’initiative.

Envies de ville : des solutions pour nos territoires

Envies de ville, plateforme de solutions pour nos territoires, propose aux collectivités et à tous les acteurs de la ville des réponses concrètes et inspirantes, à la fois durables, responsables et à l’écoute de l’ensemble des citoyens. Chaque semaine, Envies de ville donne la parole à des experts, rencontre des élus et décideurs du territoire autour des enjeux clés liés à l’aménagement et à l’avenir de la ville, afin d’offrir des solutions à tous ceux qui “font” l’espace urbain : décideurs politiques, urbanistes, étudiant, citoyens…

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