Vue panoramique et lointaine d'un village devant les montagnes d'Auvergne.
Publié le 05.04.22 - Temps de lecture : 4 minutes

Les zones peu denses, clefs de la transformation énergétique de la France ?

Quels destins post-carbone pour les territoires les moins peuplés ? Architecte et président du directoire d’AREP, Raphaël Ménard mène une réflexion sur le rôle des villes moyennes et des villages dans la transition énergétique du pays. Un rôle souvent sous-évalué.

Alors qu’il est très souvent question de la transition énergétique des métropoles, vous vous intéressez aux « petits pays renouvelables » : pourquoi les zones moins peuplées sont-elles intéressantes à vos yeux ?

Raphaël Ménard : À l’échelle « domestique » des villes et des villages, je crois beaucoup au pouvoir des maires pour agir, être entendus et mobiliser. Et pour l’autonomie des territoires, la question de la « bonne échelle », et celle de la densité adaptée, m’intéresse particulièrement. Il y a une dizaine d’années, dans l’article Dense cities in 2050: the energy option?, j’interrogeais la relation entre densité et énergie. Les acteurs de la ville, confondant parfois densité de forme et intensité d’usage, ont pu prôner la verticalité comme forme de la durabilité… De fait, même si les zones peu denses posent évidemment de sérieuses questions en termes d’accessibilité et de mobilité, elles offrent à l’inverse des opportunités par leurs capacités de captation des flux : énergies, matières, séquestration du carbone… L’urgence écologique – et les crises des années 2020 – nous invitent à explorer rapidement de nouveaux équilibres.


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Vous abordez notamment la question des territoires par la question de l’énergie – plus que jamais d’actualité avec la crise que nous connaissons. Quelle est votre réflexion ?

Raphaël Ménard : Avec la guerre en Ukraine, le boomerang des énergies fossiles revient avec une force phénoménale. Nous devons passer d’un régime de stocks (les énergies fossiles) à une logique de flux (les énergies renouvelables, distribuées). Pour des impératifs environnementaux, économiques ou géopolitiques, les énergies renouvelables vont s’imposer, la dynamique est en route en Europe et dans le monde. À nous d’inventer de nouveaux paysages de « récolte énergétique », en mixant solaire, éolien, biomasse, hydraulique, géothermie… C’est un magnifique sujet d’architecture et de paysage. Évidemment, ce développement doit s’accompagner d’une maîtrise – voire d’une diminution – de la demande d’énergie, par la sobriété et l’efficacité. C’est le schéma proposé par l’association Négawatt depuis de nombreuses années, et encore une fois, la crise accélère cette nécessité, pour le traduire à l’échelle locale, dans un contexte culturel et social donné.

Le retour aux produits locaux, aux circuits courts, concernerait donc aussi la production d’énergies ?

Raphaël Ménard : Effectivement, ces zones de basse densité sont intéressantes s’agissant de la « récolte » pour l’alimentation, la séquestration du carbone, la production de matières biosourcées, mais aussi pour l’énergie. Il n’y a pas si longtemps – environ 200 ans, avant ce qu’on appelle parfois l’anthropocène – nous utilisions essentiellement des énergies renouvelables, et en très grande majorité du bois… Par exemple, pour Paris, en l’espace de deux siècles, le « bassin versant » de son approvisionnement énergétique s’est terriblement agrandi. Avant la première révolution industrielle, il était régional, la distance moyenne des intrants de la ville de Paris s’est ensuite étendue avec l’arrivée du charbon, pour finalement atteindre des milliers de kilomètres avec l’usage des hydrocarbures. Cette histoire est très bien documentée dans l’article de Kim et Barles. Un mouvement de contraction doit s’opérer pour que le plus vite possible, nous délaissions les énergies fossiles.

Les villes moyennes, les communes rurales, sont donc amenées à jouer un rôle crucial dans la transition énergétique que nous nous apprêtons à vivre ?

Raphaël Ménard : Même dans le cas du recours aux centrales nucléaires, et comme le souligne le récent rapport RTE, il nous faudra augmenter considérablement la part des renouvelables dans le mix électrique national. Où installer ces éoliennes, ces panneaux photovoltaïques, ces méthaniseurs ? Nous faisons face à un défi paysager et esthétique. Certains évoquent les conflits avec les terres agricoles, mais si nous prenons les chiffres du rapport RTE, pour le solaire photovoltaïque, nous aurions besoin de 0,1 à 0,3% de la France métropolitaine alors que les toits occupent 1,5% : il y a donc des solutions. Une chose est certaine, l’énergie sera plus visible demain qu’elle ne l’est aujourd’hui, et c’est notamment à nous, architectes, d’interroger son esthétique pour la rendre plus facilement acceptable et désirable.

Particulièrement touchés par la crise des prix de l’énergie, les zones rurales sont pourtant porteuses de solutions ?

Raphaël Ménard : Exactement. On l’a vu lors de la crise des gilets jaunes, les habitants des communes rurales (ou périurbaines), plus dépendants à la voiture (et au prix des carburants), étaient particulièrement revendicateurs. Dans les zones à faible densité, si vous n’avez pas de voiture, vous pouvez souvent difficilement vous déplacer. Il faudrait probablement un plan de relance spécifique pour ces territoires, et l’article Petits pays renouvelables aborde quelques hypothèses.

Vous plaidez pour la mise en place d’une sorte de « cadastre carbone » : quel serait son fonctionnement et quel serait son objectif ?

Raphaël Ménard : Il est nécessaire de spatialiser, de « donner à voir » la transition écologique. Il faut doter les acteurs et les décideurs d’instruments leur permettant de visualiser par exemple les enjeux carbone à l’échelle locale. Rappeler que le mode de vie d’un Français réclame les ressources de 2,8 planètes, cela peut rester parfois un peu abstrait pour embarquer et traduire dans le quotidien une évolution des modes de vie. Dans l’article Petits pays renouvelables, j’ai tenté de remettre cette équation à l’échelle d’une commune-type de 5 000 habitants, comportant 20 km2 de champs et de forêts, en proposant un suivi cadastral des densités d’émission et de séquestration carbone. En identifiant les zones émettrices de carbone d’un côté (les bâtiments, les lieux d’activités…) et les puits de carbone de l’autre (les espaces naturels ou cultivés), un maire pourrait, à son échelle, mesurer les actions à prendre pour tendre vers le « net zéro » et organiser « sa » transition avec ses administrés.

Engager cette dynamique vertueuse dans les territoires induit un regain d’attractivité : en prenons-nous la direction ?

Raphaël Ménard : Je crois d’abord au regain de fierté. Beaucoup de grandes villes communiquent sur leurs engagements environnementaux, mais les vrais lieux de la transition seront les « bassins versants écologiques » de ces métropoles. Encore faut-il leur donner les moyens de se développer. Nous n’en sommes qu’au début, mais c’est un axe de développement pour les petites communes. En zones rurales, certains maires ne savent parfois pas que leurs communes sont créditrices en carbone !

Concrètement, comment mettez-vous en place cette approche, notamment de « bassin versant », dans les projets dont vous avez la charge ?

Raphaël Ménard : Nous travaillons, par exemple, sur différents projets de gares. Avant tout, nous nous efforçons de comprendre quels sont les flux de rabattement et de diffusion de chacune des gares : des bassins versants de mobilité en quelque sorte ! Le train est un mode de transport à très faible empreinte carbone, encore faut-il y s’y rendre et en repartir sans émettre. C’est particulièrement le cas dans les zones peu denses, avec des réseaux d’intermodalité moins développés. Nous travaillons par ailleurs avec SNCF Gares & Connexions sur la transition énergétique des gares, à travers notamment l’installation de panneaux photovoltaïques et la réduction des consommations d’énergie. Autre exemple : nous travaillons avec le ministère de l’Énergie et de l’Aménagement du Luxembourg, ou maintenant avec le Grand Annecy, sur des feuilles de route de transition écologique, comportant des grands volets sur les sols (biodiversité, séquestration etc.) et sur des solutions contextuelles pour l’atténuation des émissions, et particulièrement dans l’interface bâtiment et mobilité. Et chez AREP, par notre présence dans les territoires et notre ambition d’inventer un futur post-carbone, nous sommes très sensibles et à l’écoute pour développer ce type d’approche.

Envies de ville : des solutions pour nos territoires

Envies de ville, plateforme de solutions pour nos territoires, propose aux collectivités et à tous les acteurs de la ville des réponses concrètes et inspirantes, à la fois durables, responsables et à l’écoute de l’ensemble des citoyens. Chaque semaine, Envies de ville donne la parole à des experts, rencontre des élus et décideurs du territoire autour des enjeux clés liés à l’aménagement et à l’avenir de la ville, afin d’offrir des solutions à tous ceux qui “font” l’espace urbain : décideurs politiques, urbanistes, étudiant, citoyens…

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