« Chute de la pollution en ville : la crise va renforcer notre aspiration pour un environnement plus sain »
Le jour d’après est une série d’interviews et de tribunes qui portent un regard sur les enseignements que nous pourrons tirer, demain, de la crise sanitaire que nous vivons actuellement. Quels nouveaux besoins, quels nouveaux usages et relations sociales s’organisent dans ce contexte sans précédent ? Comment les initiatives positives créées par cette situation inédite peuvent-elle constituer des enseignements durables pour plus d’urbanité et une meilleure qualité de vie en ville ? Urbanistes, sociologues, géographes, architectes, mais aussi start-upper nous éclairent de leurs regards multiples sur l’urbanité bousculée que nous vivons aujourd’hui, pour inspirer durablement celle de demain.
Experts, observateurs, usagers de la ville, si vous souhaitez participer à la série #Lejourdaprès, écrivez-nous sur contact@enviesdeville.fr.
Zoé Lavocat a rejoint le Réseau Action Climat en 2019 et a en charge les activités liées aux politiques territoriales et au climat, de la commune à la région. Elle nous livre son regard sur la crise actuelle et nous explique de quelle manière, grâce à des actions plus structurelles, nous pourrons tirer de réelles leçons pour un avenir plus durable et favoriser l’émergence de villes plus résilientes.
Concernant la crise que nous vivons actuellement, à travers le confinement ainsi que les pratiques qui lui sont liées, quelles sont les observations que vous pouvez faire aujourd’hui vis-à-vis des municipalités mais aussi des citoyens ?
La crise sanitaire que nous traversons actuellement est sûrement unique par son ampleur et sa gravité. En réponse à cela, municipalités et citoyens se mobilisent. Des actions de solidarité s’organisent partout sur les territoires, pour venir en aide aux personnes les plus fragiles et aux personnes en première ligne. Ces réseaux d’entraide se tissent au sein d’un immeuble, d’un quartier, à l’échelle locale de la proximité. Cette période réaffirme par ailleurs l’importance des commerces de proximité et des missions de service public, que ce soit ceux de la mairie (collecte des déchets, entretien de la voirie etc.), comme de La Poste par exemple.
De plus, on observe que l’échelon local est un espace charnière pour répondre à cette crise sanitaire, en proposant notamment des réponses pour permettre aux citoyens d’avoir accès aux biens de première nécessité : des témoignages en Dordogne montrent de quelle manière les mairies se sont organisées pour permettre l’achat local, certaines fois en organisant des plateformes alimentaires locales.
Enfin, il est à remarquer que les citoyens ne sont pas égaux face à cette crise sanitaire, qui touche bien plus durement les personnes en situation de précarité, les mal logés, les SDF, les personnes âgées etc., ce qui nécessite une réponse axée sur la solidarité et la justice sociale.
Le confinement et la réduction des activités économiques, industrielles et humaines, a considérablement amélioré la qualité de l’air dans les centres urbains, mais aussi dans les territoires industriels. Est-ce que cette crise peut se révéler comme un déclencheur de prise de conscience que ce soit du côté des citoyens mais aussi du côté des politiques ?
Le confinement n’est heureusement pas la solution pour améliorer la qualité de l’air ! Cette situation de confinement et de réduction de l’activité économique est difficile pour la plupart des citoyens car brutale et incertaine, mais la crise actuelle va aussi renforcer cette aspiration à un environnement plus sain qui est synonyme d’une meilleure santé pour toutes et tous, et notamment les plus fragiles et aussi d’un environnement plus bénéfique pour la biodiversité. Permettre l’émergence de cet environnement en améliorant la qualité de l’air est possible et doit passer par des actions plus structurelles :
- Pour ceux qui en doutaient encore, la crise met en lumière le rôle prépondérant des voitures thermiques et de l’aérien dans la pollution de l’air et la nécessité de repenser notre mobilité.
- Il est à remarquer qu’il est aussi nécessaire pour la qualité de l’air et pour le bien-être de nos voix respiratoires, de repenser notre système agricole pour aller vers des modes de production plus durables et sortir de la dépendance aux engrais chimiques néfastes.
- La crise met aussi en avant d’autres nuisances, le bruit par exemple, qui a baissé de 90% aux abords dans certaines voies dans Paris.
- Enfin, cette crise doit permettre de mettre en oeuvre la transition écologique et sociale nécessaire aujourd’hui : elle ne doit pas permettre à certains acteurs de profiter cyniquement de la situation pour, par exemple, obtenir un moratoire sur les normes de réductions des émissions de CO2. Après la crise, en ce « jour d’après », nous ne pouvons pas revenir comme “au jour d’avant” et pour cela, nous devons mettre en œuvre des mesures ambitieuses et structurelles.
La réorganisation de l’Etat à une logique du local, que ce soit dans nos déplacements, mais aussi dans notre production, peut-elle avoir un impact sur nos territoires dans le futur ?
Télétravailler, consommer dans les commerces de proximité, acheter des produits plus locaux etc. sont autant de modifications de nos habitudes que nous avons dû mettre en place en cette période particulière. Si ces modifications ont été brutales du fait du confinement, ce sont aussi des tendances de fond qui doivent se mettre en place et être accompagnées de mesure d’aide et d’appui pour les particuliers et les professionnels. Une réorganisation au niveau local nécessite de repenser l’urbanisme, la manière d’organiser les déplacements personnels et professionnels sur nos territoires, mais aussi sur la production locale, qu’elle soit alimentaire, énergétique ou encore industrielle. La Région Grand Est a déjà annoncé par exemple vouloir lancer un Pacte de Relocalisation pour “accompagner la relance des entreprises avec un objectif de relocalisation industrielle”.
Quels enseignements pouvons-nous tirer de la crise que nous sommes en train de traverser, que ce soit d’un point de vue politique et associatif ?
Il est encore difficile d’appréhender quels seront les enseignements que nous pouvons tirer de cette période unique, qui ne fait que commencer. Ce qui est certain, c’est que cette pandémie est accentuée par le système actuel à travers plusieurs facteurs :
- la destruction de la vie sauvage, de son habitat et le trafic d’espèces sauvages est à l’origine d’infections et de propagations récentes de virus impactant la santé humaine. Stopper cette destruction des espaces naturels et de la biodiversité doit être une priorité, y compris pour notre santé et pour le climat. A force de déforestation, d’urbanisation, d’industrialisations effrénées, etc. mais également via le commerce illégal d’animaux sauvages, nous avons détruit leurs habitats et ainsi provoqué le déplacement de nombreuses espèces sur nos lieux de vie, favorisant la contagion et la propagation (à lire pour en savoir plus)
- la mondialisation accélérée, les délocalisations massives, les coupes dans certains services publics, notamment suite à la crise de 2008, ont rendu notre pays plus fragile. La crise du coronavirus révèle notre vulnérabilité face à des chaînes de production mondialisée et un commerce international en flux tendu, qui nous empêchent de disposer en cas de choc de biens de première nécessité. (à lire pour en savoir plus).
- les alertes des scientifiques doivent être réellement entendues et donner lieu à des politiques adaptées aux risques.
- les situations de crise impactent davantage les plus modestes, les plus vulnérables et les plus précaires. Il est urgent et impératif de réduire ces situations de précarité, car nous ne sommes pas tous égaux face à ces crises.
Comme expliqué précédemment, nous ne pouvons donc pas revenir au “business as usual” en sortant de la crise du coronavirus : le gouvernement, mais aussi l’Union Européenne et les élus locaux peuvent et doivent agir pour mettre en place la transition climatique et sociale nécessaire.
Enfin, d’après vous, est-ce que cette crise et les changements de points de vue et de pratiques qui lui sont consécutifs, doivent-ils nous inciter à envisager la fabrique de la ville autrement ? Et si oui, de quelle manière ?
Les territoires doivent être impliqués et doivent avoir un rôle moteur dans la construction de cette alternative qu’est “le jour d’après”. Cela doit passer par repenser notre modèle d’aménagement, de consommation, de production, de déplacement, thématiques sur lesquelles les collectivités ont des compétences clés. Les collectivités territoriales peuvent agir en mixant d’avantage l’habitat et lieu de travail, en limitant l’étalement urbain, en ramenant en centre-ville les commerces indispensables, en donnant davantage de place aux mobilités actives et en limitant les véhicules les plus polluants pour diminuer la pollution de l’air, en renforçant les coopérations entre les villes et les territoires ruraux alentour pour l’approvisionnement alimentaire, en énergie, en limitant la place de la publicité qui pousse à une consommation effrénée, en favorisant l’agriculture durable et locale etc. Toutes nos recommandations pour les villes et intercommunalités sont disponibles ici.