
Jean-François Fountaine : « L’homme politique dispose de beaucoup de leviers pour faire évoluer le destin de son territoire »

Président de la communauté d’agglomération et ancien entrepreneur, Jean-François Fountaine explique comment il concilie temps urbain et temps politique.
- Jean-François Fountaine défend une vision urbaine à long terme, articulée autour du programme « La Rochelle Territoire Zéro Carbone », visant la neutralité carbone d’ici 2040 grâce à la densification urbaine, aux mobilités douces et à la rénovation énergétique.
- Il adapte l’urbanisme pour inverser l’étalement urbain, en favorisant le retour des habitants vers le centre et les quartiers périphériques à travers des projets de « ville du quart d’heure » et une redensification ciblée.
- Face à la pression foncière et à la spéculation immobilière, il utilise des outils comme le PLUi, le BRS et une SEM pour favoriser la mixité sociale, l’accession abordable à la propriété et maîtriser l’offre locative en centre-ville.
- La concertation citoyenne, le refus de projets à fort impact carbone (comme Amazon) et la nécessité de plusieurs mandats sont présentés comme essentiels pour mener une politique urbaine durable et structurante.
Pour répondre à la forte attractivité de la ville touristique et tenir les objectifs du projet à 20 ans « La Rochelle Territoire Zéro Carbone », Jean-François Fountaine agit sur tous les leviers : lutte contre l’étalement urbain, développement des mobilités douces, densification du centre-ville, aide à la rénovation énergétique et soutien à l’offre locative.
Comment conciliez-vous le temps urbain et le temps politique ?
Jean-François Fountaine : Le long terme fait partie de mon ADN. J’ai créé une entreprise il y a 40 ans et je suis immergé dans une culture où l’on fait les choses pour la durée. Les soubresauts quotidiens m’intéressent peu, en revanche, les trajectoires sur le long terme me passionnent. Même si on ne mène pas un projet entrepreneurial comme on dirige une ville, il y a des points communs entre les deux. La finalité est certes différente : une entreprise vise un objectif économique, tandis que la gestion d’une ville consiste à apporter des réponses aux problèmes de ses habitants. Mais les méthodes sont un peu similaires : se projeter et se dire que l’on n’est pas lié à un destin obligatoire, car de nombreuses actions permettent de le faire évoluer. L’homme politique dispose de beaucoup de leviers pour faire évoluer le destin de son territoire.
Comment maintenir une vision à long terme dans un cadre institutionnel rythmé par les élections ?
Jean-François Fountaine : Certes, on se fixe des visions à long terme, mais aussi des étapes et des plans d’action d’une durée de cinq à six ans, soit le temps électoral, qui me semble un bon calendrier. Quand on lance en 2019 le programme « La Rochelle Territoire Zéro Carbone », cela ne se fait pas du jour au lendemain. Il faut prévoir des paliers, des points d’étape tous les cinq ans, pour juger de l’avancement d’un certain nombre de projets. Nous disposons aussi d’indicateurs qui nous permettent de corriger la trajectoire si les résultats ne s’avèrent pas satisfaisants.
Notre ambition est de ramener la population vers la ville-centre.
Comment avez-vous adapté l’urbanisme aux évolutions de La Rochelle ?
Jean-François Fountaine : À partir des années 1970, le fléau de l’étalement urbain a touché bon nombre de nos territoires. Du fait du coût prohibitif de l’immobilier, vous deviez partir vivre à 20, 30 ou 40 km de La Rochelle pour acheter une villa ou un grand terrain, ce qui entraînait de nombreux déplacements. Pour inverser cette tendance, nous portons le projet de la ville du quart d’heure, où l’on essaie de vivre proche de son emploi, de son école, d’un centre culturel. Notre ambition est de ramener la population vers la ville-centre et la première couronne, qui dispose de beaucoup de capacités d’aménagement et de création de logements. Cette démarche présente d’importants effets sur l’environnement puisque l’on peut se déplacer à pied ou à vélo, voire en transports en commun, comme le tramway, à condition que ces derniers soient adaptés aux besoins.
Comment atteindre ces objectifs alors que le cœur de ville de La Rochelle est très contraint ?
Jean-François Fountaine : Lorsque j’évoque la redensification de la ville, cela ne concerne pas uniquement l’hypercentre, qui est très protégé. La ville compte 12 quartiers aux caractéristiques différentes : La Pallice, Mireuil, Port Neuf, les Minimes, qui ont tous de vraies vies et des capacités de développement. La vie de quartier consiste à faire des schémas d’urbanisme par l’intermédiaire de ce que l’on appelle les centralités. Autour de l’hypercentre, chaque quartier est animé et dispose d’un îlot dans lequel on retrouve des commerces de proximité accessibles à pied ou à vélo. Notre démarche englobe également les communes périphériques.
Quelles sont vos marges de manœuvre face au grand écart des prix de l’immobilier, allant de 2 000 à plus de 10 000 euros le mètre carré ?
Jean-François Fountaine : Les prix de l’immobilier ont toujours été élevés à La Rochelle. Pour autant, la ville présente deux caractéristiques : un taux de logement social élevé, plus de 30 %, ce qui concourt à la diversité sociale de la cité, et des quartiers pavillonnaires sans étage où il est possible de faire du R+1, voire du R+2. C’est la capacité à s’adapter à la typologie de chaque quartier qui permet de les réaménager et de refaire la ville sur la ville. Densifier une ville signifie aussi regarder où il y a des dents creuses, des friches, un vieil atelier abandonné que l’on peut transformer en logements.
Quels moyens utilisez-vous ?
Jean-François Fountaine : Nous utilisons la palette d’outils à notre disposition, dont le programme local de l’habitat (PLH) en cours de révision, et le plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) adopté par le conseil communautaire fin 2019 et modifié ou mis à jour cinq fois depuis. Ce dernier fixe les hauteurs des nouvelles constructions, impose aux promoteurs des contraintes en fonction des quartiers et prévoit un pourcentage de logement social selon les zones. L’objectif est de faire moins de social où il y en a beaucoup et de faire plus là où il n’y en a pas du tout, de manière à renforcer la mixité sociale mais aussi générationnelle de la ville. Nous développons également une politique d’accession abordable à la propriété afin de permettre à un jeune couple de devenir propriétaire à un prix abordable, soit entre 2 000 à 3 000 euros le mètre carré. Nous utilisons aussi le bail réel solidaire (BRS). Nous portons ces politiques soit à travers notre office HLM, soit par l’intermédiaire d’un nouvel outil, à savoir une société d’économie mixte (SEM). Celle-ci a pour objet de porter des programmes résidentiels et économiques, car, si la ville doit avoir un effet de levier, elle ne peut pas tout faire elle-même. Il nous faut des équipes qui démultiplient l’action publique.
Vous manque-t-il des outils pour mener à bien vos ambitions ?
Jean-François Fountaine : Nous manquons d’outils pour porter tous nos objectifs. À titre d’exemple, il nous faudrait un dispositif pour pouvoir acheter des terrains qui ne sont pas utilisés, situés en zones économiques. De fait, parce que les propriétaires les considèrent comme un placement tranquille, ils ne les vendent pas. Or, aujourd’hui, nous avons besoin de densifier ces zones. En acquérant ces fonciers, nous souhaitons à la fois répondre aux besoins des entreprises qui cherchent à s’installer et porter de nouveaux projets utiles à la ville. Pour éviter cet écueil à l’avenir, nous ne vendons plus de terrains pour de nouvelles installations économiques, mais nous les louons. De cette manière, si l’activité cesse, nous pouvons récupérer le foncier afin de le mettre à la disposition d’une nouvelle entreprise.
Quels sont les grands projets d’aménagement urbain portés par La Rochelle ?
Jean-François Fountaine : Le grand projet structurant du territoire est « La Rochelle Territoire Zéro Carbone ». Il prévoit que d’ici à 2040, soit 10 ans avant les objectifs de l’Accord de Paris, la ville atteigne la neutralité carbone. Nous nous sommes fixé cet objectif ambitieux, parce que c’est moins compliqué pour nous que pour d’autres, sachant que nous n’avons ni grande usine chimique, ni cimenterie ou autre équipement rédhibitoire. Cela passe par l’urbanisme pour réduire l’étalement urbain et redensifier l’agglomération et des offres de mobilité importantes pour que chaque habitant dispose d’une alternative à la voiture individuelle.
À lire aussi
- 3 questions à Michel Fournier, président de l’AMRF « La ruralité ce n’est pas seulement ce qui n’est pas urbain »
- En Côte d’Or, des maires engagés pour le pouvoir d’achat
Qu’avez-vous mis en place pour atteindre cet objectif de neutralité carbone d’ici à 2040 ?
Jean-François Fountaine : En réalité, c’est l’inverse qui s’est produit dans le sens où « La Rochelle Territoire Zéro Carbone » est né après avoir listé tout ce que l’on réalisait déjà et que nous renforçons. Nous avons constaté que toutes les actions et tous les projets entrepris depuis 2014, mais aussi par mes prédécesseurs, allaient vers cet objectif de neutralité, qu’il s’agisse de l’isolation des maisons et de tous les bâtiments publics ou de la réduction de la place de la voiture par la création de pistes cyclables et le développement des transports publics. Le budget transport est le plus important des budgets de l’agglomération grâce notamment au dynamisme du versement mobilité. En matière de rénovation énergétique, les ménages modestes bénéficient d’un dispositif de financement que nous proposons en partenariat avec l’Anah.
Comment concilier transition écologique, pression foncière et développement urbain ?
Jean-François Fountaine : À chaque fois que nous développons un projet, nous mesurons son impact carbone territorial. Amazon a voulu s’implanter sur notre territoire, considérant qu’elle pouvait rayonner à partir de La Rochelle pour faire des livraisons. Nous avons examiné le projet sous toutes ses dimensions, et nous l’avons finalement refusé, car, s’il créait des emplois, il était négatif pour l’impact carbone du territoire.
Quels freins rencontrez-vous pour mener à bien la démarche « La Rochelle Territoire Zéro Carbone » ?
Jean-François Fountaine : Le principal frein concerne l’aéroport. Il est émetteur de carbone parce que la ville est dynamique, son trafic croît. Nous souhaiterions que les visiteurs utilisent davantage le train que l’avion. Pour ce faire, nous travaillons avec la SNCF afin d’améliorer l’offre ferroviaire. Nous avons obtenu que les trains qui desservent La Rochelle soient tous à double niveau afin d’en accroître la capacité. Nous menons aussi d’innombrables actions, comme la création de pistes cyclables qui ont permis au vélo de se développer dans des proportions considérables.
Il faut plusieurs mandats pour mener une politique urbaine structurante.
Quelle place accordez-vous à la concertation citoyenne dans ces projets à long terme ?
Jean-François Fountaine : Les agglomérations ont l’obligation d’avoir un conseil de développement. Le nôtre est assez atypique et s’appelle d’ailleurs « Le conseil de développement citoyen ». Il compte 82 personnes réparties sur tout le territoire qui donnent leur avis sur un certain nombre de sujets importants liés notamment aux questions environnementales.
Vous êtes maire de La Rochelle depuis 2014. Quels projets n’auraient pu aboutir si vous n’aviez pas été réélu en 2020 ?
Jean-François Fountaine : C’est très difficile à savoir, parce qu’il y a les propos de campagne et ensuite la réalité et les difficultés de l’action. Le programme « La Rochelle Territoire Zéro Carbone » aurait probablement été revu à la baisse, car il amène à urbaniser davantage la ville-centre et les villes de première couronne, ce qui crée des polémiques. En réalité, comme nous avons beaucoup travaillé sur le premier mandat, la moitié des projets menés dans le deuxième a été engagée dans le premier. Personne ne pouvait, par exemple, arrêter le chantier de renaturation du marais de Tasdon achevé en 2021. Mais il faut bien plusieurs mandats pour mener une politique urbaine structurante. Bien que nous soyons en fin du deuxième mandat, nous engageons beaucoup de choses qui verront le jour dans deux, trois ou quatre ans, dont le renouvellement urbain du quartier de Villeneuve-les-Salines avec des ambitions environnementales très élevées.
Une SEM pour maîtriser le marché de la location
Revers de la médaille de l’attractivité de La Rochelle, la ville compte 1 000 chambres d’hôtel et 6 000 chambres en Airbnb. « Cela prive les habitants de logement et les contraint à s’éloigner de la ville », souligne Jean-François Fountaine, qui utilise tous les leviers disponibles pour libérer du logement à l’année. Outre les diverses actions engagées par la ville depuis trois ans pour réguler les meublés de tourisme, la société d’économie mixte patrimoniale Citin, qui associe la ville, la communauté d’agglomération, la Banque des territoires, la Caisse des dépôts, le Crédit Mutuel et le Crédit Agricole, a été créée en 2022 pour acheter des bâtiments en centre-ville, les transformer en local commercial et/ou en logement, et ainsi conserver la maîtrise de leur destination sur plusieurs années. Une première opération a été lancée en 2024 sur l’îlot de la Caille, un ensemble d’anciens bureaux de l’hôtel de ville, afin de créer des commerces, des bureaux et neuf logements qui seront loués à l’année à des prix intermédiaires. « Il s’agit d’éviter le logement spéculatif ou destiné à Airbnb », ajoute le maire de La Rochelle, « sans être toutefois dans la location sociale, qui reste de la compétence de l’office HLM ».