Interview de Frédéric Dabi, directeur général de l’IFOP et auteur de La Fracture aux éditions Les Arènes sur les étudiants et le logement.
Publié le 13.02.24 - Temps de lecture : 4 minutes

« Étudiants, logement, rien d’évident ! »

À RETENIR

  • La précarité étudiante est marquée : près de la moitié limitant leurs achats alimentaires, avec des impacts sur la santé, l’alimentation, les loisirs, et le logement.
  • Les jeunes actifs quittent majoritairement le domicile familial (81%), et plus d’un sur deux a déménagé au moins trois fois. Un étudiant sur deux indique l’impossibilité pour ses parents de financer un logement durant ses études, et un tiers a renoncé à des études supérieures pour des raisons de distance.
  • Environ un tiers des étudiants rencontrent des difficultés de logement, mais c’est moins la précarité financière que les démarches administratives et un sentiment de solitude qui sont soulignés.

 

Pouvoir d’achat limité, manque de garanties, déménagements fréquents, difficultés face aux démarches administratives… la liste des difficultés rencontrées par les étudiants pour se loger est plus longue que leur liste de rentrée. Décryptage avec Frédéric Dabi, directeur général de l’IFOP et auteur de La Fracture (Les Arènes), un ouvrage sur les évolutions des valeurs, des choix, des révoltes et des espoirs de la jeunesse depuis 1957.

Quelles sont les principales difficultés auxquelles font face les étudiants aujourd’hui ?

Frédéric Dabi : Je commence mon livre par une citation du Président de la République qui avait beaucoup fait réagir où il dit « c’est dur d’avoir 20 ans en 2020 ». Les images d’étudiants dans des files d’attente devant des banques alimentaires avaient défrayé la chronique pendant la crise sanitaire ce qui révélait une « génération précarisée ». Quand on sait que près d’un étudiant sur deux indique ainsi qu’il lui arrive de devoir limiter voire renoncer à des achats de denrées alimentaires, soit presque le double que pour l’ensemble de la population française, oui on peut dire que leur situation n’est pas simple. Et c’est sans parler des renoncements sur la santé, l’alimentation, les loisirs, ou encore, puisque c’est le sujet, sur le logement.

Justement sur le logement, qu’est-ce qui ressort de vos travaux ?

Frédéric Dabi : Il en ressort des résultats partagés. Il faut tout d’abord dire que près des 2/3 des jeunes âgés de 18 à 30 ans n’habitent plus chez leurs parents ; pour 68% le départ a eu lieu avant 21 ans. Les jeunes actifs sont très majoritaires puisque 81% d‘entre eux ont déjà quitté le toit familial. Cette indépendance s’assortit d’une véritable « bougeotte » immobilière : plus d’un jeune sur deux a déménagé au moins trois fois, depuis qu’il a quitté le domicile de ses parents. Dans une étude, avait été observé qu’un étudiant sur deux indiquait que ses parents ne pouvaient pas leur payer un logement durant ses études. Un tiers des sondés confiaient même avoir renoncé à faire des études supérieures à cause de la distance de son domicile.

La question financière est-elle la plus douloureuse ?

Frédéric Dabi : Non, tout n’est pas question d’argent. Les jeunes sont certes très nombreux à se déclarer en situation de précarité, ce qui est très inquiétant, en revanche cela se ressent moins sur le logement que sur d’autres dimensions. Environ un tiers des étudiants témoignent de difficultés dans ce domaine. Ce qui ne veut pas dire que les difficultés pour s’alimenter, sortir et autres ne sont pas la conséquence de la part non-négligeable de leur budget allouée au logement justement. Deux phénomènes ressortent assez clairement. Premièrement, les recherches de logement sont vécues péniblement par les étudiants de même que les démarches administratives jugées pénibles. Deuxièmement, ce qui est frappant, c’est le sentiment de solitude de ces jeunes : près d’un étudiant sur deux indique se sentir toujours ou souvent seul, c’est largement supérieur à ce qu’on observe dans toutes les catégories d’âge, même chez les plus âgés pourtant parfois seules et isolées.


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En termes d’aspiration et de projection, y’a-t-il des différences significatives avec la génération de leurs parents ?

Frédéric Dabi : Les rêves immobiliers des jeunes ne semblent pas si éloignés de ceux de leurs parents : ils sont 70% à souhaiter s’installer en maison individuelle. Ils plébiscitent des villes de taille moyenne et les grandes agglomérations et privilégient des critères de sécurité, la présence de verdure, la proximité des équipements et services publics et le respect de l’environnement avec un logement écologique. Ne négligeons pas l’appel du monde rural depuis la crise sanitaire.

On dit la jeunesse engagée sur le plan écologique, est-ce quelque chose qu’ils projettent également sur leur logement ?

Frédéric Dabi : Un jeune sur cinq déclare qu’il est prêt à mourir pour la cause environnementale, plus qu’à mourir pour la France, c’est dire ce qu’ils sont engagés. Ce chiffre me paraît plus noir que vert pour être honnête mais les jeunes sont très militants sur la cause environnementale, inquiets pour l’avenir, aussi, ce qui conduit d’ailleurs à un effondrement du niveau de bonheur chez les jeunes en 20 ans… Les jeunes placent l’action pour l’environnement dans un triptyque « citoyen, État, entreprises » ce qui n’est pas anodin. Cela signifie qu’ils se considèrent comme premiers acteurs dans le changement de comportements et de consommation. 52% des 18-30 ans estiment que les citoyens les plus à même de lutter efficacement contre le changement climatique.

Les jeunes sont-ils plus concernés par ces enjeux que leurs aînés ? 

Frédéric Dabi : Les jeunes sont à l’avant-garde et imposent les termes du débat. Ils associent « écologie » et « climat » et se sentent bien plus concernés que n’importe quelle autre génération. Début 2021, une étude a montré que 64% des jeunes de moins de 30 ans considèrent l’écologie comme un enjeu tout à fait prioritaire contre 44% parmi les 65 ans et plus.  Ils sont même 72% à déclarer être « engagés » dans la lutte contre le changement climatique. Les jeunes participent à la construction de l’opinion, il n’y a qu’à regarder la médiatisation et la viralité des marches pour le climat. Mais attention, les jeunes ne sont pas seulement militants, ils veulent être acteurs plus que jamais. Plus de 9 jeunes sur 10 se disent prêts à réaliser au moins une action pour lutter à leur niveau contre le réchauffement climatique (réduire leur consommation d’énergie, ne plus acheter certains produits à fort impact environnemental, choisir de nouvelles mobilités…). 

1. « Le rapport des jeunes au logement », enquête IFOP pour la FNAIM – 2022
2. Étude IFOP pour la fondation Jean Jaurès et l’association Chemins d’Avenirs
3. « Le rapport des jeunes au logement », enquête IFOP pour la FNAIM – 2022
La fracture, Comment la jeunesse d’aujourd’hui fait sécession : ses valeurs, ses choix, ses révoltes, ses espoirs… Frédéric Dabi & Stewart Chau, éditions Les Arènes

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