Vue aérienne de Barcelone et de son découpage en blocs et grandes avenues.
Publié le 25.07.23 - Temps de lecture : 3 minutes

Barcelone : la possibilité des îles

La capitale catalane mène depuis 2017 de gigantesques travaux de réaménagement de ses rues avec un objectif affiché : moins de place pour les voitures, mais plus pour les mobilités douces. Avec des effets directs et rapides sur la qualité de l’air, le niveau de bruit… et les prix de l’immobilier ! Mais pour combien de temps ?

À l’angle des rues Comte Borrel et Parlament, les terrasses ne désemplissent pas. Autrefois réservé à la circulation, ce carrefour typique de Barcelone s’est fermé aux voitures et accueille depuis 2019 bacs à fleurs, jeux pour enfants, bancs et tables damiers pour les parties d’échec. C’est dans ce quartier à quelque pas du marché de Sant Antoni qu’a été menée l’une des premières expérimentations de « supermanzana » (ou super îlot).

Pour comprendre, il faut prendre de la hauteur… En pleine expansion à la fin du XIXe siècle, la cité comtale sort de ses remparts et lance un vaste plan d’agrandissement. Le quartier d’Eixample (« extension » en catalan) voit le jour, bâti selon un plan simple : des « blocs » d’immeubles (également appelés « manzanas ») de 113,3 m par 113,3 m, avec des angles à 45°, sur une superficie de près de 8 km2 tout autour de la vieille ville. Vu du ciel, un parfait quadrillage, symbole de l’urbanisme rationalisé et totalement adapté à une circulation automobile encore naissante.


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Repenser le modèle

Mais l’ensemble a fini par se congestionner, la ville étouffe et manque d’espaces verts. La solution viendrait-elle des « supermanzanas » ? Ces « super-îlots », décidés à partir de 2016 englobent 2 rues dans le sens vertical et 2 rues dans le sens horizontal. La circulation de transit ne s’effectue plus que dans les rues qui les délimitent. À l’intérieur, seuls les riverains, les services de secours et les livraisons sont autorisés, avec une vitesse limitée à 10 km/h. Les trottoirs s’élargissent, de nouveaux espaces verts voient le jour et les carrefours sont arborés. Résultat : 14 % de la superficie des rues devient « verte », contre moins de 1 % auparavant.

Pour Salvador Rueda, ancien directeur de l’Agence d’écologie urbaine de Barcelone, le programme dont il est à l’origine va bien plus loin : « Avec cet aménagement, nous passons d’un espace public majoritairement consacré à la mobilité motorisée à un espace public majoritairement conçu pour les citoyens piétons. Nous voulons augmenter et multiplier les droits des citoyens, en leur donnant accès à l’alimentation, aux loisirs, aux sports, aux espaces verts, à la culture et aux événements festifs. Les superillas donnent accès à une véritable vie démocratique. »

Des effets contrastés selon le point de vue

Les premières études de la mairie montrent en tout cas un effet direct sur la pollution, avec par exemple des concentrations en dioxyde d’azote en forte baisse dans certains quartiers réaménagés. Mais les travaux ne vont pas sans réticences. De nombreux commerçants pointent l’effet négatif sur leur chiffre d’affaires, en baisse après l’inauguration des superillas, faute d’accès et de perte d’habitude. Autre effet pervers : les reports de circulation automobile sur d’autres axes, qui deviennent encore plus saturés. Enfin, côté immobilier, les îlots créent une certaine fièvre : + 11 % sur un an pour les prix, à la vente comme à la location, dans la superilla des rues Consell de Cent, Rocafort, Comte Borrell et Girona d’après les données du site d’annonces immobilières Idealista. Une flambée qui montre l’attractivité de ces secteurs… mais accélère la gentrification de Barcelone et chasse de nombreux habitants du centre.

Dans les rues, les travaux se poursuivent mais pourraient connaître un coup d’arrêt. Désavouée dans les urnes fin mai dernier, la maire Ada Colau à l’origine du programme et en faveur de sa généralisation laisse son fauteuil à son concurrent Jaume Collboni. Dès les premières heures de son mandat, le nouvel édile a annoncé que les projets lancés iraient à leur terme, mais qu’aucun autre super îlot ne serait créé. « Appliquer le modèle à tout Eixample et piétonniser 1 rue sur 3 n’est ni réalisable, ni économiquement viable », a déclaré le nouveau maire, qui a une autre idée en tête : s’attaquer à l’intérieur des « blocs », immenses cours entourées d’immeubles et souvent inutilisées, le tout sans empiéter sur la circulation. De quoi récupérer 90 000 m2 d’espaces publics. À Barcelone, la bataille de rue est d’abord politique.

Un modèle transposable ?

La superilla correspond parfaitement à l’architecture barcelonaise, avec un schéma simple : 1 rue sur 3 piétonne. Dans ce plan quadrillé, seules les rues extérieures à l’îlot servent à la circulation. Autre atout : la forte densité de la capitale catalane permet de créer des « communautés » de 4 000 à 6 000 habitants par superilla, un nombre suffisant pour y adosser des services publics et répartir de façon cohérente les transports en commun. En France, si certains quartiers de Lyon et Strasbourg reprennent cette structure à une moindre échelle, le modèle reste difficilement transposable en l’état et nécessiterait des adaptations plus ou moins importantes selon les spécificités locales.

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