Alors que les projets urbains s’allongent, se complexifient et se heurtent à de nouvelles exigences, Jean-Luc Porcedo, directeur général de Nexity Transformation des Territoires et président de Nexity Villes & Projets, défend une vision lucide du temps long.
Publié le 08.07.25 - Temps de lecture : 3 minutes

« On est capable de prévoir ce qu’il pourrait se passer dans 30 ans.»

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Alors que les projets urbains s’allongent, se complexifient et se heurtent à de nouvelles exigences, Jean-Luc Porcedo, directeur général de Nexity Transformation des Territoires et président de Nexity Villes & Projets, défend une vision lucide du temps long.

À RETENIR

  • Le cycle complet d’un projet urbain prend rarement moins de dix ans, en raison des exigences croissantes d’acceptabilité sociale, des études réglementaires complexes et des contraintes du chantier en milieu urbain dense. 
  • Accélérer les délais reste marginalement possible via des innovations constructives et le choix d’outils d’aménagement adaptés, comme les ZAC, qui fluidifient procédures et concertation. 
  • La complexité des processus n’assure pas nécessairement la qualité ; le vrai défi réside dans l’articulation entre urgence de production, exigences environnementales et contraintes démocratiques. 
  • Anticiper les enjeux climatiques impose une ville réversible et évolutive, pensée dès aujourd’hui pour 2050, avec une approche territorialisée intégrant démographie, économie et politiques publiques. 

Transformer un territoire en six ans, soit un mandat municipal, est-ce vraiment possible ? 

Jean-Luc Porcedo : Non. La ville se construit dans le temps long, et cette temporalité s’est allongée au fil des années. Autrefois, un projet immobilier se limitait à l’obtention d’un permis et à une construction rapide. Aujourd’hui, chaque opération s’inscrit dans un projet urbain plus global, même pour un simple immeuble. Il faut penser mobilité, intégration dans l’espace public, sécurité, espaces partagés… À cela s’ajoutent trois séquences incontournables : l’acceptabilité sociale et politique, le temps des études et des procédures réglementaires, et, enfin, celui du chantier. L’acceptabilité est devenue le point de tension principal. Elle suppose de concerter, de coconstruire, d’expérimenter parfois via de l’urbanisme transitoire. Mais, même bien menée, elle n’empêche pas les recours. Le temps des études, quant à lui, est incompressible : études d’impact, de biodiversité, de mobilité, études quatre saisons… Autant d’étapes nécessaires qui rallongent les délais. Enfin, les travaux en eux-mêmes prennent du temps, surtout en milieu urbain dense. Résultat : le cycle complet d’un projet de transformation d’envergure prend rarement moins de 10 ans. 

Existe-t-il, malgré tout, des marges de manœuvre pour aller plus vite ? 

J.-L. P. : Sur le cœur du projet – la réalisation –, on peut parfois gagner quelques mois. Nous explorons des modes constructifs alternatifs : construction hors site, matériaux géosourcés, optimisation logistique… Mais il faut garder en tête que nous ne sommes pas des industriels. Chaque projet est unique, lié à un territoire, à des habitants, à un élu. C’est une forme d’artisanat à grande échelle. C’est d’ailleurs ce qui fait notre force : être capables de produire en volume tout en respectant l’identité de chaque lieu. Le meilleur levier structurel reste le choix du bon outil d’aménagement. Une ZAC, par exemple, permet de cadrer en amont les procédures et de limiter à un seul cycle les phases de concertation et de recours. C’est plus lisible pour le citoyen, plus efficace pour l’élu et plus fluide pour l’opérateur. L’alternative, le diffus, est beaucoup plus fragmentée, avec des risques d’opposition et des délais rallongés à chaque étape. 

Chaque projet est unique, lié à un territoire, à des habitants, à un élu. C’est une forme d’artisanat à grande échelle. 

 La complexité du processus garantit-elle de meilleurs projets ? 

J.-L. P. : Pas nécessairement. Un projet peut être long et raté. Et inversement, un projet peut être rapide et réussi. L’exemple du Village des athlètes le prouve : dans un temps très contraint, et malgré des inquiétudes, des découvertes en phase chantier et quelques contentieux, le résultat est globalement une réussite et le sera totalement avec la livraison définitive au territoire en phase héritage. Mais cela s’est fait sous régime dérogatoire. Ce n’est pas reproductible à grande échelle. En démocratie, les recours, les débats, les précautions environnementales sont légitimes. Le vrai défi est donc d’articuler urgence et qualité. Aujourd’hui, il y a urgence à produire du logement. Or, nous sommes incapables de le faire vite. Pas parce que nous manquons de savoir-faire, mais parce que les processus sont devenus extrêmement complexes. La seule issue viable, c’est de trouver un équilibre entre l’impératif de production et le respect des contraintes environnementales, sociales et politiques. 


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Comment anticiper les grands défis à venir, notamment climatiques ? 

J.-L. P. : La grande différence aujourd’hui, est que nous savons ce qu’il risque de se passer. Il y a 20 ou 30 ans, on construisait sans penser à l’avenir. Aujourd’hui, on connaît les effets du changement climatique, on anticipe l’augmentation des températures, la raréfaction de l’eau, la nécessaire adaptation des usages. Cela oblige à repenser la ville sur le temps long. Par exemple, l’exigence croissante de pleine terre dans les PLU pour créer des îlots de fraîcheur nous oblige à réfléchir à leur entretien… donc à la ressource en eau. On conçoit également les bâtiments pour qu’ils puissent évoluer : un logement F3 doit pouvoir devenir F4, ou inversement, et suivre les évolutions sociétales, la décohabitation, les familles recomposées, le départ des enfants pour les études… Un bureau, lui, doit désormais être conçu pour pouvoir se transformer en logement. Cela s’appelle la réversibilité et l’évolutivité. C’est bon pour la décarbonation, et c’est bon pour le cycle de vie des bâtiments. On ne peut plus se permettre de construire des bâtiments figés. Le foncier est rare, les usages évoluent vite, et les attentes citoyennes sont de plus en plus élevées. 

Comment Nexity adapte son approche pour anticiper ces transformations ? 

J.-L. P. : C’est tout le sens de notre démarche du « New Nexity ». Nous avons structuré une approche territoriale précise, région par région. Nous croisons les données démographiques, les politiques publiques, les dynamiques économiques et industrielles. Cela nous permet d’identifier les zones à fort potentiel de transformation. Par exemple, à Caen, on trouve l’un des plus grands gisements de friches industrielles en France. C’est une opportunité d’aménagement importante, même si la croissance démographique locale est modérée. Notre rôle ne se limite pas à construire des bâtiments. Il est de participer à la fabrique de la ville de demain. Et cela suppose d’être à la fois prospectiviste, urbaniste, sociologue et entrepreneur. Nous devons imaginer ce que seront les besoins, les usages, les contraintes de 2050, et y répondre dès maintenant. La responsabilité des élus est de penser à la façon dont leur ville doit être vécue demain. La nôtre est d’être capables d’y répondre avec ambition et précision. 

Envies de ville : des solutions pour nos territoires

Envies de ville, plateforme de solutions pour nos territoires, propose aux collectivités et à tous les acteurs de la ville des réponses concrètes et inspirantes, à la fois durables, responsables et à l’écoute de l’ensemble des citoyens. Chaque semaine, Envies de ville donne la parole à des experts, rencontre des élus et décideurs du territoire autour des enjeux clés liés à l’aménagement et à l’avenir de la ville, afin d’offrir des solutions à tous ceux qui “font” l’espace urbain : décideurs politiques, urbanistes, étudiant, citoyens…

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