À Bourg Saint Maurice – Les Arcs, une société mixte immobilière pour loger habitants et saisonniers
Avec la constitution d’une société d’économie mixte (SEM) chargée de construire et de gérer des logements intermédiaires accessibles sans conditions de revenus, la commune de Bourg Saint Maurice – Les Arcs entend garder la main dans le contexte d’expansion des résidences secondaires et des logements Airbnb. Entretien avec Guillaume Desrues, le maire de la commune savoyarde.
- Bourg Saint Maurice – Les Arcs a constitué une société d’économie mixte (SEM) pour construire et gérer des logements accessibles sans conditions de revenus, afin de contrer l’expansion des résidences secondaires et des logements Airbnb.
- La commune a réorienté le projet initial pour en faire un quartier résidentiel à long terme avec 370 logements sur 8 ans, incluant 40% de logements sociaux, pour favoriser l’habitat permanent et saisonnier.
- En zone tendue, la municipalité souhaite proposer des logements à des prix accessibles et éviter qu’ils deviennent des résidences secondaires ou des locations Airbnb, en gardant la maîtrise publique du logement.
- La SEMILAB, avec un apport de 2,6 millions d’euros et plusieurs actionnaires, vise à créer 120 logements d’ici 2031, en commençant par une résidence pour travailleurs saisonniers à Arc 1800, prévue pour 2026.
Vous êtes maire de la commune depuis 2020, en quoi avez-vous essayé de changer la vision de la montagne sur votre territoire ?
Guillaume Desrues : Nous avons engagé des actions concrètes motivées par deux enjeux majeurs mis en lumière lors des séances de concertation avec les habitants : le logement et la mobilité. Présents dans bon nombre de territoires touristiques et de montagne, ces enjeux sont étroitement liés puisque la mobilité fait partie intégrante de la question du logement, notamment la mobilité pendulaire pour se rendre sur son lieu de travail. Concernant le logement, plusieurs axes avaient déjà été mis en place dans notre programme électoral dont le premier d’entre eux, le quartier des Alpins. C’est un quartier militaire laissé par l’Etat en 2012, un retrait drastique puisque plus de 900 militaires ont quitté le territoire, laissant une zone d’environ 6 hectares en plein cœur de ville.
Un virage à 180 degrés en mettant en place un projet immobilier pensé sur le long terme
Nous avons immédiatement réinterrogé le projet initial, un quartier à vocation touristique proposé par la précédente mandature. Après un an et demi de concertation sur ce quartier des Alpins, les habitants comme les acteurs privés et publics étaient unanimes, ce quartier devait devenir un endroit qui permette de bien vivre et de bien habiter à l’année. Nous avons donc opéré un virage à 180 degrés en mettant en place un projet immobilier pensé sur le long terme qui soutiendra le logement à l’année et saisonnier, avec une dimension sociale et environnementale forte. Tout un quartier va bientôt sortir de terre avec 370 logements sur 8 ans, ce qui représente une moyenne de 50 logements produits à l’année, avec un souhait d’avoir au moins 40% de logement social, même si les critères d’attribution très stricts ne permettent pas de répondre à toutes les demandes.
C’est précisément avec ce genre de projet que nous voulons incarner une nouvelle vision de la montagne sur notre territoire, en stoppant la construction massive de résidences touristiques et en prenant les mesures nécessaires pour loger habitants et saisonniers.
Nous n’avons aucune garantie de logement à l’année lorsqu’on laisse du logement en accession libre
Vous avez exprimé votre volonté de garder la main et de mettre un frein à l’expansion des résidences secondaires et des logements Airbnb. Comment allez-vous procéder ?
Guillaume Desrues : Notre ligne directrice réside dans la volonté de proposer des logements à des prix accessibles aux ménages qui souhaiteraient s’installer et aux saisonniers. Notre commune est désormais classée en zone tendue, ce qui permet à des couples gagnant jusqu’à 50.000, 55.000 € par an de pouvoir prétendre à des logements sociaux. Nous devons encadrer au maximum puisque nous en faisons l’expérience malheureuse depuis une dizaine d’années à Bourg Saint Maurice – Les Arcs, dès que nous avons du logement en accession libre, cela devient très rapidement, en moins de 10 ans, de la résidence secondaire ou du logement Airbnb. Nous n’avons aucune garantie de logement à l’année lorsqu’on laisse du logement en accession libre et c’est bien la problématique majeure du territoire.
L’idée n’est pas d’empêcher les gens de devenir propriétaire, c’est le rêve de tout le monde, mais le constat est sans appel. Sur des opérations de promotion réalisées en 2019, aujourd’hui, cinq ans après, quasiment la moitié est déjà devenue de la location saisonnière ou de la résidence secondaire. Dernièrement, une jeune architecte trentenaire originaire de la région a voulu installer son cabinet. Malgré ses moyens, elle a été obligée de louer pendant 6 mois à Tignes dans le parc touristique, parce qu’elle ne trouvait pas de logement à Bourg Saint Maurice, c’est vous dire à quel point on est serré ! Nous en sommes à 1% de vacance dans le locatif, c’est à dire la même tension que pour des grandes villes comme Paris.
Garder de la maîtrise publique pour éviter que les choses partent dans des circuits que l’on ne maîtrise plus
Depuis la phase de concertation en 2020, nous avons tout repris en régie jusqu’à supprimer le programme de la ZAC avec cette volonté de garder la main, notamment sur le logement. C’est vraiment le fil conducteur de notre politique municipale, garder de la maîtrise publique pour éviter que les choses partent dans des circuits que l’on ne maîtrise plus. Le but c’est vraiment de stabiliser notre population et surtout d’offrir, notamment aux jeunes actifs, un parcours résidentiel qui soit en adéquation avec leurs besoins. Parce que je vous mets au défi aujourd’hui de venir à Bourg Saint Maurice – Les Arcs et de trouver un logement dans le parc locatif, c’est quasiment impossible.
À lire aussi
- Le financement participatif : une solution pour les projets de développement des collectivités ?
- Alain Chrétien, maire de Vesoul : « Être un maire développeur est plus complexe qu’être un maire bâtisseur
Dans le cadre des mesures prises pour loger habitants et saisonniers, la création d’une société mixte immobilière (SEM) associant acteurs publics et privés a été approuvée par le Conseil Municipal. Quel est votre objectif avec cet outil immobilier qu’est la Semilab ?
Guillaume Desrues : Avec cette SEM, nous voulons d’abord déléguer la construction et la gestion d’un parc immobilier qui vient en soutien de l’habitat saisonnier et à l’année, à l’aide de tarifs modérés. La création de la Semilab nous permet de produire des logements adaptés aux besoins et aux loyers inférieurs aux prix du marché. Le partenariat public-privé facilite le développement de ces logements à des prix encadrés. Avec un apport de 2,6 M€, la nouvelle SEM réunit six actionnaires autour de la Commune, actionnaire majoritaire à 51% (Compagnie des Alpes 30%, SAVOISIENNE HABITAT 10%, Les Arcs Bourg-Saint-Maurice Tourisme 4%, Groupe Crédit Agricole 2%, Caisse d’Epargne 2%, Centre hospitalier de Bourg Saint Maurice 1%).
La construction d’une résidence pour travailleurs saisonniers à Arc 1800 est le premier projet de la SEMILAB. Cette résidence dont l’ouverture est prévue en 2026 comportera 60 logements, permettant d’accueillir jusqu’à 100 personnes. Cette ouverture marquera la concrétisation de ce que nous avions inscrit dans notre programme électoral : l’arrêt de la construction de résidences touristiques par l’adoption d’un moratoire en 2020.
Une logique de réhabilitation et de rénovation
Au moment de la préparation de notre programme politique, nous avons constaté que nous rentrions dans une phase où l’on avait presque trop de monde aux Arcs, notamment sur les périodes hivernales pendant lesquelles la capacité touristique avoisine 40.000 lits. Et dans le même temps, les constructions continuaient pour compenser ce qu’on appelle les lits froids. C’était une hérésie de se dire qu’il fallait construire pour compenser les lits froids et les immeubles inoccupés !
Nous avons décidé de tout mettre en œuvre pour arrêter cette fuite en avant en invitant tout le monde à se remettre dans une logique de réhabilitation et de rénovation. Et cela fonctionne très bien aujourd’hui puisque, sans construire de nouveaux logements, nous avons cette année une hausse de fréquentation de 5% en termes de nuitées, sans aggraver la confiscation des sols. Avec la Semilab, nous pouvons parler à la classe moyenne et aux saisonniers, et nous pouvons garantir un logement à l’année aux employés du public et du parapublic, l’hôpital, les services du département, le domaine skiable, les transporteurs, les agents, ça fait déjà pas mal de monde !
Nous nous devions de trouver une solution pour ne plus avoir à affronter le renoncement des candidats en phase de recrutement, que ce soit en mairie, à l’hôpital ou dans le domaine skiable. Tous renonçaient au moment de la phase de recherche de logement. Avec cette SEM, nous visons 120 logements en gestion pour 2031.
Il faut retenir que Bourg Saint Maurice – Les Arcs est la première ville de montagne qui a pris des engagements forts sur les questions du logement et de l’aménagement du territoire. Nous sommes dans une phase de transition importante sur de nombreux aspects, environnementaux, sociaux et économiques, et je pense que nous serons la première grande station de ski et première ville de montagne à s’être saisi de tous ces sujets, le quartier des Alpins en sera un très bon démonstrateur.